Le bruit de l'héritage, Jean DIVASSA NYAMA  

Apparemment, c'est un roman africain, qui raconte de manière magnifique le drame du déracinement, de la perte des traditions, lorsque la modernité et les valeurs occidentales lancent un appel plus séduisant que celui d'appartenir à une lignée, à une généalogie.



Apparemment, c'est seulement une tragédie africaine, Muile le village où de générations en générations et de récits en récits, dans un bain de paroles allant des Anciens aux plus jeunes, se transmettaient des valeurs, des traditions, tout un travail ancestral pour harmoniser la vie des uns avec les autres, est détruit pour construire un aéroport, et ses habitants sont relogés dans un village de montagne, Loango, dans des maisons neuves, où il s'agira non seulement de transformer leur activité de pêcheurs de la lagune en celle de cultivateurs, mais surtout de faire revenir parmi eux l'esprit des Ancêtres, chose absolument vitale, cela s'entend vivement dans ce roman. Les habitants de Muile, ceux vitalement attachés aux traditions, aux Ancêtres, à l'appartenance à leur lignée, craignent la colère de ces Ancêtres dont le cimetière a été profané, détruit par la construction de la piste de l'aéroport. Dans le nouveau village, Loango, les habitants s'attendent à ce que les Ancêtres, abandonnés, se manifestent, reviennent, fassent du bruit, le bruit de l'héritage. C'est parfaitement clair: ne plus être baigné de traditions, des paroles et récits et contes qui les transmettent, cela a des conséquences terribles, des maladies, des morts, des accidents, des tragédies, des folies. Par exemple, les jeunes qui ont préféré partir à la ville, Botimboure (nom qui signifie "une bonne place", qui est ici ironique étant donné le déracinement que cette ville moderne implique), vont à la dérive, désœuvrés, drogués, délinquants. Dans cette ville, construite de manière anarchique, les catastrophes se succèdent, les nouveaux riches, même s'ils dressent des murs entre leurs richesses et l'extrême misère qui les cernent, ne sont jamais à l'abri des revers. A Loango, le nouveau village, c'est oncle Mâ qui veille, par sa parole, ses histoires, sa vigilance, son intérêt pour les jeunes, à ce que la lignée ne se perde pas. Et autour de lui, les autres habitants.



En réalité, même si en Afrique cela semble se manifester à ciel ouvert, cette crainte permanente d'avoir mécontenté les Ancêtres, cette étonnante sensation de continuité se disant par la croyance à la réincarnation, voire à la métempsychose, partout dans le monde les êtres humains ne sont-ils pas, sous peine de malheur, reliés à quelque chose de collectif qui les précède, qui les constitue, qui forge leur langue, leurs habitudes, leurs normes, leurs idées, qui rend possible leur activité psychique. Il y a tout un trésor collectif, constitué au fil du temps, qui se manifeste et se dépose par exemple comme expériences dans la richesse et les transformations de la langue, qui précède, dépasse l'individu. L'individu, qu'il le veuille ou non, est pris par cette sorte de fleuve véhiculant les trésors des expériences passées, les sagesses et les savoirs des générations passées, il parle sans souvent s'en rendre compte avec une formidable épaisseur d'expériences d'avant véhiculées par la langue. Ceci se dit en Afrique traditionnelle encore à ciel ouvert, avec cette sensation que les Ancêtres se manifestent encore, qu'il est impossible de les renvoyer, qu'il faut les apaiser en acceptant leur sagesse, leur héritage.



En Afrique, mais ailleurs aussi en fait, le malheur, la dérive, la délinquance, l'ennui, la dépression, arrivent lorsque les gens croient, ou la société de consommation leur fait croire, qu'ils ne sont plus constitués par quelque chose qui garde le trésor d'expériences des générations, lorsque leur parole, leur pensée, leurs actes ne se rythment pas avec un paradigme ancien.



En fait, en Afrique et partout ailleurs, le fait que la tradition et la parole des Anciens soient balayées par la folle et si séduisante publicité pour la jouissance tout de suite à portée de mains, cela a des conséquences terribles. Cela revient sous forme de maux que Jean Divassa Nyama nous décrit en Afrique, mais qui sont les mêmes partout ailleurs. Le bruit de l'héritage revient, en Afrique et ailleurs, comme une sorte d'appel à quelque chose à quoi se rattacher, quelque chose de riche et d'impérieux, que le malaise actuel fait revenir en miroir comme l'insistance des Ancêtres à déposer absolument, car c'est vital, leur trésor collectif dans l'appareil psychique de gens dévastés par leur addiction aux différents prêt-à-porter, à-penser, à-consommer qui charpentent si faussement nos vies.



Donc, ce beau et intelligent roman de Jean Divassa Nyama nous donne à entendre pas seulement le bruit de l'héritage en Afrique, où bien sûr c'est beaucoup plus sensible car il reste encore des villages traditionnels et la notion forte de lignée, d'arbre généalogique, la sensation incroyable d'appartenir à un enchaînement qui vient d'avant et se continuera après, mais chez nous aussi. C'est à ce niveau là par exemple, avec cet écrivain francophone de talent, que l'Afrique contribue à nous mettre la puce à l'oreille à propos de quelque chose d'inquiétant dans notre société.



Alice Granger Guitard



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Une virtualité et son vécu au Gabon
Par Renee Fountain
Première partie: Quelques interprétations européennes et nord-américaines du virtuel?
Dans un numéro spécial intitulé les Promesses du Cyberespace (Sociologie et Société, 2000),
les auteurs Proulx et Latzki-Toth font remarquer que la notion du virtuel s'exprime sous plusieurs
formes: comme adjectif ("monde virtuel"), nom ("le virtuel") et même comme verbe ("virtualiser"
ou "rendre virtuel"). Le virtuel se rattache donc aux éléments ou aux essences de choses autres
(l'adjectif), aux personnes, endroits ou choses (le nom), et aux actions (le verbe). Certains
conçoivent le virtuel comme une force, un pouvoir actualisant, une chose réelle mais non actuelle,
une vertu (au sens d'une qualité), une vision religieuse dans laquelle moralité et pouvoir
s'entremêlent, le non-observable (la science), l'illusoire, etc.[1] Comme Wood (1998) le fait
remarquer, cela entraîne plus d'ambivalence que de clarté. Pourtant, une notion demeure claire (et
proéminente dans plusieurs cas, sinon dans la majorité des cas): l'opposition entre le virtuel et le
réel. Proulx et Latzko-Toth (2000) présentent trois manières de penser cette relation ou à son
absence[2]: la représentation, la résolution et l'hybride. les deux premières séparent strictement le
réel du virtuel. La première théorie (la représentation) conçoit le virtuel comme une simulation, une
sorte de fausse approximation de la réalité, un fac-similé du réel, mais de basse fidélité: cette copie
ne fait pas le poids devant Mère Nature. La représentation maintient le face-à-face et dénigre le
simulacre. La deuxième théorie (la résolution) perçoit le virtuel comme une façon d'améliorer la
réalité, d'aller au-delà des limites de matière, d'espace et de temps. Le virtuel en devient plus
complet, plus riche que la réalité. Telle la promesse d'un monde nouveau, il présente des
caractéristiques émancipatrices. La troisième théorie (l'hybride) met perpétuellement en corrélation
le virtuel et le réel. Leur relation est circulaire et productrice, une expérience et une création
constantes[3]. Cette version du virtuel ne s'oppose pas au réel. Le virtuel est réel. Par contre, il n'est
pas actuel. En conséquence, une opposition existe, mais avec l'actuel - le virtuel n'étant pas (encore)
actualisé - et non avec le réel[4].
Deuxième partie: Quelques représentations[5] du virtuel
En mai 1999, l'ENS (École Normale Supérieure) de Libreville, au Gabon, a lancé un
programme de maîtrise (accueillant 60 professionnels) doté d'une composante technologique. Le
premier cours était une initiation à l'ordinateur et à l'Internet. Cela est important parce que la
majorité des participants n'avait pas beaucoup ou pas du tout d'expérience préalable avec les
espaces associés aux ordinateurs. Le deuxième cours a commencé avec une orientation plus
conceptuelle: explorer les notions de la virtualité. Les étudiants (ces 60 professionnels de niveau
variés) ont écouté le film la Matrice, qui développe en problématique la notion de réalité, puis
répondu à la notion deleuzienne suivante à propos du virtuel: Le virtuel ne s'oppose pas au réel, il
s'oppose plutôt à l'actuel.
Cette notion appartient de toute évidence à la catégorie hybride présentée par Proulx et Latzko-
Toth (2000). Tandis que plusieurs Gabonais endossaient cette notion deleuzienne du virtuel,
plusieurs autres maintenaient une division entre réalité et virtualité (et supportaient soit la
représentation, soit la résolution, soit les deux). En général, les participants dépeignaient[6] le
virtuel - qu'ils l'opposent au réel ou à l'actuel - comme libérateur. Plus précisément, les participants
ont à plusieurs reprises fait référence à l'évus. (On trouvera une référence à l'évus dans la section
d'accès.) Ce qui suit présente la description du virtuel, ce qu'il peut faire, et qui y a accès. L'italique
indique mon emphase pour permettre au lecteur de synthétiser la citation. Les citations offrent une
représentation fidèle de la variété des conceptualisations élaborées par les étudiants..
À quoi ressemble le virtuel[7]?
"Le virtuel fait le pont entre la pensée et sa cristallisation matérielle, une image
mentale vers une utilité (une idée ou une chose). C'est la capacité et potentialité de
l'esprit à sa pleine puissance. C'est une potentialité en nous."
"Le virtuel est l'absence d'existence, le possible. C'est l'entre-deux, entre le possible
et l'impossible, entre le matériel et le spirituel, entre l'existence et la non-existence."
"Dans le virtuel il n'existe aucune contrainte. Même la mort et la peur sont exclues.
Le virtuel est dynamique. Il n'a pas de lois."
"Le virtuel est issu d'un manque. C'est un pré-produit. C'est le commencement du
réel, sa source d'inspiration et pourtant sa complémentarité, la continuité du réel. Ça
émane de l'imagination, ce que personne ne peut contrôler."
"Ça implique une indépendance émergeant de la liberté de l'explorateur."
Qu'est-ce que cela nous permet et invite à faire?
"Le virtuel est libérateur. Il peut nous faire sortir de notre prison corporelle, libérer
notre esprit. Dans le virtuel, nous contrôlons le monde. Tous les exploits et les
entreprises sont possibles. On peut créer son propre monde, résister au conforme,
créer le non-conforme."
"Par le virtuel, nous pouvons anticiper ce que cela fera de vivre quelques chose ou de
le re-vivre. Cela pourrait même offrir un espace pour permettre aux violents, par
exemple, de vivre leur violence. D'autres pourraient réaliser leurs passions. Dans ce
sens, ça invite à devenir moins passif, à devenir un acteur."
"Cela permet de comprendre le monde d'une autre façon, ce que nous voudrions voir
dans le monde mais qui n'existe pas. Cela peux nous aider à comprendre les mystères
de l'essence (l'homme et les mondes). Comme un rêve, ça peut refléter ou prédire
l'actuel (une référence à une femme qui rêve qu'elle une jambe endolorie, et se
réveille avec une jambe endolorie). Cela change le temps et l'espace. Plus
particulièrement, la notion de la distance. (Cela la réduit - on peut parler à quiconque
par courriel - et l'augmente en remplaçant le contact en personne.)"
"Ça renforce le sens de curiosité et de créativité. Ça étend le réel. Ça transforme
l'actuel. Ça propose des actions futures. C'est le passage d'une réalité au possible.
C'est le vecteur principal dans la création de la réalité."
Qui peut y aller?
Le virtuel est accessible à tous. Et pourtant, dans la culture Fang (gabonaise), l'évus existe déjà
comme monde virtuel dans lequel on peut maîtriser des pouvoirs mystiques: des pouvoirs de
prédiction (même de la mort) ou de voyage (sans quitter le village). Cette connaissance requiert
une initiation, et n'est pas accessible à tous. Dans ce monde, l'actuel et le virtuel sont tout
simplement deux façons d'être différentes. Cette virtualité sert surtout à la communication de
l'information[8].
Troisième partie: Comment une virtualité forcée a initié des relations en personne différentes
Dans ce contexte gabonais, comme dans tout contexte, les relations de pouvoir entre les
étudiants ressortaient. Divers regroupements d'étudiants ont vu le jour selon le niveau de carrière
éducative (collège, université, etc.), le domaine d'enseignement (les mathématiques, les sciences,
l'histoire, etc.), le sexe, la race (gabonaise, sénégalaise, malienne, etc.), la culture (les Fang ou les
Punu, ect.,) et les relations antérieures (amitiés, relations entre collègues). Certains regroupements
étaient très exclusifs et donc la communication entre eux se faisait brève ou ne se matérialisait pas.
(Cette réalité apparut clairement dans plusieurs cours offerts, pas seulement dans les cours sur la
technologie.) Alors que les hiérarchies de ces regroupements sont parfaitement "naturelles", c'est-àdire
qu'elles apparaissent dans presque tous les regroupements, elles ont curieusement subi une
altération lorsque ces mêmes groupes ont dû interagir dans un nouveau format avec un sujet
relativement nouveau. (Ceci était la deuxième partie du deuxième cours.) Après avoir vu deux
filmes sur les aliments génétiquement modifiés (l'alimentation), les étudiants devaient participer à
un forum de discussion pour conduire des recherches supplémentaires sur le sujet. (La majorité des
étudiants n'avait pas d'expérience avec un forum de discussion et peu connaissaient les aliments
génétiquement modifiés.) Les exigences du cours (voir l'annexe A) visaient à créer la plus grande
quantité d'information possible afin que les étudiants puissent éventuellement former une position
nuancée sur le sujet. Par "nuancée", j'entends articuler un point de vue non-manichéen, qui
démontre une connaissance et un effort à rechercher, apprécier et critiquer la plus grande variété
possible de positions exprimées dans une controverse donnée. Comme il y avait 60 étudiants, trois
forums différents regroupèrent 20 étudiants chaque. Bien que les trois forums demeuraient
accessibles à tous les étudiants, la responsabilité des étudiants s'étendait seulement à l'information
et à l'information à l'intérieur de leur forum particulier. (Notons que ces trois forums étaient fermés
en ce que les autres internautes ne pouvaient y participer.) Le cours exigeait des étudiants un
minimum de 7 messages pour informer et stimuler à la fois, et même provoquer des discussions
dans leurs forums respectifs. Les étudiants avaient droit aux pseudonymes, mais seulement 23 sur
60 ont choisi d'en faire usage.
Fait surprenant, la difficulté des aspects techniques et la nouveauté du sujet a amené les
étudiants à créer, en personne, des relations supplémentaires. D'un point de vue technique, ils
devaient compter les uns sur les autres pour comprendre comment ajouter des messages à partir de
textes déjà écrits (rappelons que la majorité n'avait aucune expérience préalable), vérifier que ces
messages s'insèrent dans le forum au bon endroit, s'aider les uns les autres lorsque cela ne
fonctionnait pas, comprendre pourquoi et discuter des solutions possibles. D'un point de vue
intellectuel, un professeur de l'École Normale Supérieure connaissait la génétique et devint une
référence pour tous les étudiants en dépit des regroupements exclusifs qui les avaient séparés. Cette
inter-dépendance, issue de la nécessité et d'une vulnérabilité relative devant l'inconnu, a servi de
nouveau terrain de rencontre pour les participants, un terrain où les relations se trouvaient
fondamentalement altérées (et où les exclusivismes disparaissaient ou diminuaient grandement). On
ne peut attribuer la virtualité comme unique cause à une telle redéfinition des frontières.
Certainement, la nouveauté du sujet y a joué une part. Par contre, il faut bien noter que les sujets
nouveaux ne semblent pas, avant ou après, avoir affecté les regroupements de la sorte. Ces
découvertes pourraient avoir des implications importantes sur notre façon de présenter la virtualité
digitale aux nouveaux usagers. Peut-être que les nouveaux usagers doivent explorer les virtualités
digitales "ensemble". Ceux qui ont l'habitude des mondes digitaux (c'est-à-dire qui détiennent des
compétences techniques) se rencontrent et naviguent facilement dans le virtuel. Mais cette
expérience au Gabon peut indiquer l'importance d'avoir des contacts en personne, d'avoir un groupe
avec qui on peut ensemble faire face au virtuel. Étant donné les difficultés techniques inhérentes
avec l'usage initial des ordinateurs et de l'Internet, exiger des interactions en groupe peut devenir
essentiel à une expérience réussie[9]. De plus, cette "présence éloignée" peut engendrer des
croisements avec plusieurs nouveaux sujets, idées et réalités qui deviendront plus faciles à
confronter une fois seul. Si le contact avec la diversité dans un contexte donné se limite au
minimum, alors les initiatives de recherche internationale doivent explorer comment conjointement
faire face à la nouveauté (et non pas avec une disposition individualiste, qui prime en société
occidentale).
Quatrième partie: Discussion de ces représentations
Quels sont les aspects performatifs de ces représentations? Pourquoi est-ce que les définitions
du virtuel et des interactions y ont de l'importance? D'abord, parce que les définitions mettent la
réalité en scène. Elles dépeignent ce qui a la permission d'appartenir au réel. De grands enjeux se
cachent derrière les définitions. Prenons, par exemple, les deux histoires suivantes (offertes par un
étudiant gabonais):
Première histoire: Dans un hôpital provincial d'Oyem, il existe une salle dans l'aile opératoire qui
s'appelle "la maison noire". Ou, plus précisément (en suivant l'expression idiomatique) la "maison
des ombres". Dans cette salle, on ne voit rien et pourtant on réussit à y voir l'intérieur du corps
humain sans le découper! Un monde invisible devient visible, un rêve devient réel. Qui l'aurait cru?
Peut-être que cela indique la fin du monde tel que nous le connaissons? Pour la génération actuelle,
cette salle est simplement la salle de radiologie La fermer déclencherait un scandale.
Seconde histoire: deux amis vivaient dans un petit village ouest-africain isolé. Un d'eux décida de
partir quelques mois visiter son neveu dans la capitale tout près. Lorsqu'il revint au village, il
voulait lui raconter ce qui l'avait le plus frappé à propos de son séjour à la ville. Il décrivit une
"boîte qui parle". La réponse fut dévastatrice! Son ami dit qu'il mentait et que l'idée était saugrenue!
Pendant dix ans, son meilleur ami refusa de lui parler, jusqu'au jour où un homme d'affaires vint au
marché du village pour vendre des radios.
Deuxièmement, les interactions avec le virtuel (à tout le moins dans sa manifestation digitale)
peut mener à des manifestations dans l'actuel. Cela mène à une foule de questions extrêmement
importantes: des questions sur la responsabilité (pour des gestes dans le virtuel), la validité (ce qui
aura de la validité alors que d'autres mondes - des dimensions différentes - s'actualisent de plus en
plus), la crédibilité (même "voir" ne force plus à croire), le social (le virtuel qui érode et améliore
les relations face-à-face), le déplacement (se perdre dans le virtuel, vivre surtout là, et donc d'une
certaine façon perdre cette réalité), le contrôle (la liberté de créer son propre monde, qui
engendrerait une anarchie, un désordre, une non-uniformisation), les idéologies (des nouveaux
héros, mythes et terroristes), les effets des "non-effets" (les mondes sans peur comportent-ils des
dangers? Est-ce que le rites de passages, importants et valorisés, disparaîtront devant le risque zéro
du virtuel), etc. Pourtant, ces préoccupations ne s'apparentent-elles pas à l'apparition de toute réalité
médiatisée: la télévision, les livres, l'art, la musique? Quels risques et quelles promesses entraînent
l'exposition au "plus-que-soi"? Une question qui suscite peut-être plus d'intérêt: à quoi mène le fait
de ne pas ouvrir vers d'autres réalités (voire des créations)? La problématique examine dès lors le
coût de maintenir la singularité. Qui plus est, la singularité s'exprime toujours par rapport à un
individu et cette singularité peut très bien ne pas être la nôtre.
Nous pouvons rapprocher cette discussion sur la singularité de nos préoccupations collectives.
Peut-on accepter, par exemple, que les étoiles virtuelles comptent autant (jouissent du même statut
ontologique) que les étoiles que nous considérons maintenant comme "réelles" (étant donné que les
effets sensoriels mesurés ont la même valeur "scientifique")? Sinon, comment maintenir la
différence? Devons-nous donc redéfinir la distorsion? Et qu'arrive-t-il si le virtuel attire davantage
que l'actuel? Serait-ce perçu comme un effet de nivellement (Frederic Jameson) ou comme son
intensification?
Prenons un autre exemple, un qui s'articule autour du social. Est-ce que la migration de
l'expérience sociale dominante vers le virtuel poserait problème? Et si plusieurs individus
devenaient plus intimes avec leurs amis virtuels qu'avec ceux qui les entourent physiquement (cela
peut inclure leur famille[10])? Accepte-t-on l'investissement dans le non-actuel? Jusqu'à quel
degré? Étant donné certains dangers dominants et très actuels, préfériez-vous voir vos enfants jouer
sur des "rues virtuelles" ("e-streets") sécuritaires et s'adonner au "sexe virtuel" ("e-sex") sécuritaire?
Et eu égard au politique? Une démocratie peut-elle exister dans le cyberespace? Plusieurs
jeunes ont l'impression de n'avoir aucune voix politique alors ils s'en trouvent une virtuelle. Ils se
créent une classe moyenne, une auquelle la réalité actuelle ne leur donne plus accès. Est-ce que cela
sera perçu (voire jugé, condamné) comme une forme de résistance, ou de fuite? Est-ce acceptable
de vivre la démocratie dans le virtuel et l'apathie dans l'actuel?
Dernières pensées: Apprendre de l'évus
À quoi attribuerons-nous le virtuel: à la représentation (les reproductions), la résolution (les
promesses) ou à l'hybride (les mélanges et la multiplicité)? Dans quelle mesure allons-nous exiger
ou prouver notre version (nos versions) de ce qui compte comme du réel[11]? Si nous acceptons
que le virtuel ne s'oppose pas au réel, que le virtuel est réel, est-ce que les actualités qui en
découlent pourraient nous forcer, ou du moins nous inviter, à mettre la diversité en scène comme
viable? Est-ce que la "présence éloignée" comporte moins de graves responsabilités?
Actualiser une potentialité pour la rendre plus acceptable parmi les participants ne faisait pas
partie du cadre initial de la recherche. Mais c'est arrivé. L'étude ne peut établir aucune relation de
cause à effet entre le virtuel et l'actuel. Des définitions du virtuel furent élaborées, des virtualités
antérieures décrites et des relations en personne actualisées. Un certain espoir - eu égard à ce que le
virtuel pourrait engendrer avec ses multiples "culturalités - devint réel. Ce phénomène promet en
lui-même beaucoup et mérite une exploration plus poussée. L'exploration future devrait prendre
conscience des manifestations du virtuel comme celles offertes par l'évus et les inclure. Ce que
plusieurs ont rejeté comme autant de "magie" peut s'avérer une virtualité contemporaine présagée il
y a longtemps.
Annexe A: Messages à propos des OGM dans l'alimentation et dans l'agriculture
Renee Fountain
Notes:
1.- Proulx et Latzko-Toth, 2000 pour les nombreux auteurs qui s'associent à ces représentations.
2.- Ici aussi, lorsque je parle de discours, je fais surtout référence à ceux dans les contextes
européens et nord-américains.
3.- Cet hybride s'articule dans Granger, 1995 et Deleuze, 1996. Notons par contre que Deleuze
avait présenté cette notion bien avant 1996, soit avant Granger. L'hybride est donc "deleuzien".
4.- "The virtual is the indefinite (unassignable, yet also determined) and the actual the
infinite.....According to Liebnitz, the virtual is used with reference to truths of essence, not
existence..... Identity governs truths of essence and continuity governs truths of existence..... And
what is a world? A world is defined by its continuity. Continuity is an evanescent difference..... The
world that passes into existence is the one that realizes in itself the maximum of continuity, that is,
which contains the greatest quantity of reality or of essence. (And what is that?) -Maximum space
time while leaving the least emptiness." Pour d'autres nuances intéressantes, voir Deleuze au sujet
de Leibnitz.
5.- Fang et les Punu ), du Cameroun, du Sénégal, du Mali, et de la Côte d'Ivoire.
6.- Cette vision était celle du groupe. En conséquence, toutes les perceptions ne ralliaient pas tous
les étudiants ou même plus d'un d'entre eux.
7.- "Qu'est-ce que le virtuel" (1995), par Pierre Lévy.
8.- Dans la discipline du Chigong, il existe aussi une communication sans déplacement physique.
Encore une fois, tous ne peuvent atteindre ce niveau.
9.- Notons que cela va à l'encontre de plusieurs tendances en Amérique du Nord, où l'éducations
individuelle en technologie passé d'abord et avant tout.
10.- En toute soirée donnée, presque 80 millions de personnes aux États-Unis regardent la
télévision. La chaumière états-unienne laisse la télévision allumée plus de six heures par jour
(Turkle, 1995)
11.- Le livre de Bruno Latour (1999) sur la politique de définition dece qui conte pour la réalité est
le plus intéressant à cet égard, surtout en ce qui concerne comment la singularité de la science a
dominé ce qui constitue le monde "naturel" et donc le monde "réel".
Références bibliographiques:
Proulx, S. et Latzko-Toth, G. "La virtualité comme catégorie pour penser le social: l'usage de la
notion de communauté virtuelle". Sociologie et Sociétés: Les promesses du cyberespace, 2000, Vol
XXXII, 2, p.99-122.
Turkle, S. "Virtuality and its discontents: searching for community in Cyberspace". The American
Prospect, 1996, Vol 24.
Wood, J. "Preface: Curvatures in Space-time-truth", in J.Wood (dir), The Virtuel Embodied:
Presence/Pratice/Technology, Londres, Routledge, 1998, p.1-12.
Notice:
Fountain, Renee. "Une virtualité et son vécu au Gabon", Esprit critique, vol.03 no.10, Octobre
2001, consulté sur Internet: http://www.espritcritique.org

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