Protrait d'Obama  

Il était une fois une Amérique qui, par deux fois, avait élu un président néoconservateur et qui envisageait de donner le pouvoir à un homme en tous points différent de son prédécesseur. Un certain Barack Hussein Obama, encore inconnu sur la scène nationale il y a quatre ans. Un homme qui fait campagne sur des valeurs d'espoir, de changement. Un homme qui tente de redonner foi à ses concitoyens en l'american dream.


Un vent de changement sur Washington

Barack Obama laisse au second plan la couleur de sa peau. L'important se trouve dans son programme, son projet pour les Etats-Unis, pas dans ses origines. Sans se révéler essentiel, cet élément marque malgré tout un tournant dans l'histoire. Il y a cinquante ans, une personne de couleur n'avait pas le droit de s'asseoir à l'avant d'un bus dans le sud des Etats-Unis. Aujourd'hui, en Louisiane, dans le Mississippi ou en Georgie, les électeurs démocrates ont tous préféré Barack Obama à des candidats blancs. (1) On ne peut nier l'importance d'un tel changement. D'autant que Barack Hussein Obama n'est pas seulement noir mais métis. On le trouve tantôt trop noir, tantôt pas assez. Ainsi, lorsqu'il se présente au sénat en 2000 face à Bobby Rush, ancien leader des Black Panthers, une partie de ses opposants le traitent d'"Oreo", ce biscuit au chocolat fourré à la vanille. Obama est un "sang-mêlé". Certains n'apprécient guère, mais il reflète le visage de l'Amérique de demain : en 2050, les Blancs seront minoritaires aux Etats-Unis.

Obama incarne aussi le changement par sa jeunesse : 46 ans face à un John McCain septuagénaire et une expérience politique somme toute assez fraîche. Elu au Sénat de l'Illinois depuis 1996, il l'est à l'échelle nationale depuis seulement quatre ans. Et ce diplômé d'Harvard n'a jamais géré d'institution publique ni même été à la tête d'une entreprise privée. A peine sorti de l'oeuf et peut-être bientôt à la Maison Blanche… Un parcours inimaginable en France où l'on jugeait Ségolène Royal un peu jeunette avec ses vingt ans en politique et ses trois expériences à des fonctions ministérielles. Après le scandale des élections truquées en Floride en 2000, les Etats-Unis vont peut-être nous donner une belle leçon de démocratie. Déjà, contrairement à l'usage américain, Barack Obama ne finance pas sa campagne à l'aide de chèques de groupes de pression mais de ceux de particuliers pour que "les lobbyistes ne définissent plus l'agenda de Washington". Plus d'un million de personnes ont déjà fait un don. Et les jeunes, qui se déplacent habituellement peu pour aller voter, se sont mobilisés en masse pour les primaires.


Un nouveau visage pour l'Amérique

Le changement, Obama le signifie aussi à l'étranger. Le sénateur de l'Illinois représente l'Amérique multiculturelle dont beaucoup rêvent. En France, l'"Obamania" bat son plein. En 2004, l'Hexagone s'enthousiasmait pour le démocrate John Kerry mais cette fois, l'ampleur est tout autre. Un comité de soutien français au candidat a même été monté. On y retrouve Olivier Duhamel, Jack Lang, Sonia Rykiel, Bernard Henri-Lévy, Frédéric Mitterrand ou Bertrand Delanoë. A l'étranger, aujourd'hui, une personne sur deux a une opinion négative des Etats-Unis. Ce score les relègue juste derrière la Corée du Nord. (2) Comme l'explique Joseph Nye, le théoricien du soft power (3) : "Une présidence Obama serait le meilleur moyen de faire progresser le pouvoir d'attraction de l'Amérique dans le monde." (4) Avec un père kenyan musulman, une mère texane agnostique, un passé partagé entre Hawaï, Chicago, l'Indonésie, Barack Obama offre une image différente, nettement plus ouverte sur le monde. Avant même qu'il n'ouvre la bouche, le sénateur change déjà tout. Un homme dont le deuxième prénom est Hussein inspire moins d'a priori négatifs qu'un Bush texan et blanc et qui n'avait jamais mis les pieds à l'étranger avant son élection. D'autant que le Hussein en question s'oppose depuis le premier jour à la guerre en Irak et prône le multilatéralisme. Il laisse imaginer qu'une nouvelle ère est possible. Et au-delà du symbole, elle l'est peut-être vraiment.


Multilatéralisme et soft power

Barack Obama se distingue très clairement de la ligne politique de l'actuel locataire de la Maison Blanche. Il lui apparaît essentiel de rétablir le dialogue avec tous les Etats, sans conditions préalables. Il se dit notamment prêt à rencontrer Mahmoud Ahmadinejad ou Hugo Chavez dès la première année de son mandat. (5) Obama voit l'Europe et le Japon comme des alliés, la Chine comme un concurrent, non un ennemi. Ce diplômé en sciences politiques et relations internationales de l'université de Columbia a écrit une thèse sur les relations Nord-Sud et est adepte du soft power et du multilatéralisme : il désire renforcer l'OTAN et fait de la lutte contre la pauvreté dans le monde l'une de ses priorités. Le sénateur de l'Illinois souhaite investir 150 millions de dollars en dix ans pour encourager le recours aux biocarburants et promouvoir les énergies renouvelables ; il aimerait aussi réunir les dirigeants des Etats plus gros consommateurs d'énergie pour aborder les questions liées à l'environnement. Sans être isolationniste, il ne voit pas la guerre comme une solution de premier recours. Cinq mois avant le début de l'intervention en Irak, il justifiait déjà son opposition à celle-ci : "Je ne suis pas opposé à toutes les guerres. Ce à quoi je suis opposé, c'est à une guerre stupide." S'il est élu, Obama se donne 16 mois pour faire rentrer l'ensemble des troupes américaines d'Irak. Une proposition que certains jugent irréaliste...

L'arrivée d'un Barack Obama à la Maison Blanche impulserait une nouvelle dynamique aux relations euro-américaines mais aussi intra-européennes. La relation à entretenir avec les Etats-Unis est une des principales pommes de discorde entre membres de l'UE. Si les Etats-Unis adoptent des positions plus modérées à l'international, s'ils se tournent vers un mode de fonctionnement plus multilatéral, le consensus autour de leurs actions sera plus évident. L'UE n'en sera que fortifiée. Obama souhaite rencontrer rapidement Angela Merkel, Gordon Brown et Nicolas Sarkozy. Il connaît déjà le président français et tient à son propos un discours élogieux : "C'est un homme énergique, avec beaucoup de talent. Je suis impressionné par sa façon de regarder les problèmes spécifiques à la France avec un regard neuf." (6) Si les votes de Barack Obama font de lui le sénateur le plus à gauche du congrès, certaines de ses positions peuvent néanmoins paraître assez conservatrices à un Français. Il a ainsi voté en faveur de l'érection d'un mur le long de la frontière mexicaine en 2006. Il considère par ailleurs que l'autodéfense prônée par Israël est parfaitement légitime.

(1) Lors des primaires démocrates, en Louisiane Barack Obama a reçu 57 % des suffrages contre 36 % pour Hillary Clinton, en Alabama 56 % des suffrages contre 42 % pour Clinton, en Georgie 66 % contre 31 % pour Clinton et dans le Mississippi 61 % contre 37 % pour l'ex-première dame.
(2) Enquête effectuée dans 28 pays auprès de 58.000 personnes in Marianne du 24 au 30 mai 2008.
(3) Puissance douce, capacité d'influencer d'autres acteurs des relations internationales par des moyens non coercitifs.
(4) 'Aux antipodes du style Bush' in The New York Times Magazine, James Traub.
(5) "Notre persistance à mettre des conditions à des discussions avec des interlocuteurs qui nous sont hostiles est précisément ce qui nous fait perdre la bataille de l'image dans le monde : cela donne à penser que les Etats-Unis sont une puissance supérieure et que les autres Etats doivent accéder à nos demandes pour que nous daignons les rencontrer. Cela renforce l'image d'arrogance des Etats-Unis dans le monde, ce qui est très néfaste - et porte atteinte à notre sécurité." Barack Obama in 'Du bon sens à défaut d'expérience' in The Washington Post, Dan Balz.
(6) Barack Obama in Paris Match, janvier 2008.

AddThis Social Bookmark Button

0 comments

Post a Comment