Rappelez vous de Pierre-Louis Agondjo Okawé  

Le nom de Maître Agondjo est pour beaucoup de Gabonais synonyme de droiture et d’intégrité. Très affaibli par le poids des ans et de la vie, Pierre-Louis Agondjo Okawé s’est éteint à l’âge de 68 ans à la suite d’une crise cardiaque. Il reste l’un des grands témoins de l’histoire gabonaise et africaine. Beau-père du Président Omar Bongo Ondimba, il en demeure un des plus grands et illustres opposants. Premier avocat gabonais (premier Bâtonnier de l’Ordre des avocats du Gabon entre 1976 et 1984), il a toujours mené ses combats politiques pour défendre ses convictions. Au péril de sa vie et de sa liberté. Retour sur un parcours riche d’enseignements et à haute valeur d’exemple.

Pour évacuer la question quant à ses relations avec le Président Bongo, Maître Agondjo avait tenu à préciser ceci . « C’est uniquement parce que mon frère (ministre des Affaires étrangères, ndlr) a eu des enfants avec la fille de Bongo. C’est pour cela que beaucoup de gens se disent que je rase les murs pour aller chercher de l’argent chez Bongo ». Ceux-là semblent oublier qu’il a été condamné à 8 ans de travaux forcés par son illustre parent pour délit d’opinion, sous l’obscur chef d’inculpation de « tentative de complot », et qu’il a bien failli laisser sa vie en prison.

Période coloniale

La vie de Pierre-Louis Agondjo-Okawé s’apparente à un roman. Agondjo. « L’enfant des plantes médicinales », en myènè. Sa mère, enceinte d’un mois, voulait absolument garder cet enfant. La nature lui ayant repris jusque-là ses jumeaux et ses autres fils. C’est ainsi qu’elle quitte son village, Kongo, pour celui d’Awuta, afin de confier sa grossesse à une tradi-gynécologue. Agondjo voit le jour en pleine période coloniale. En pleine santé.

Son premier rapport avec le colon est placé sous le signe de l’autorité. Il se souvient de l’enrôlement forcé des jeunes hommes valides par l’administration coloniale. « Quand nous voyions les couvre-chefs rouges, tout le monde se sauvait pour aller se cacher. Les enrôlements étaient rarement volontaires. Ceux qu’on attrapait avaient même développé des subterfuges pour être renvoyés des rangs de l’armée : ils se mettaient de l’ail dans l’anus. Ce qui provoquait une très forte fièvre, pareille à une crise de paludisme », se souvient-il.

Campagne du Non en 1958

Le pays est alors sous la férule de l’administration coloniale, potentat d’un royaume où les Noirs ne sont rien ou pas grand-chose. « Les colons nous traitaient avec un mépris total. Nous étions traités comme des animaux. Il y avait une telle arrogance dans l’attitude du Blanc. Mes souvenirs les plus marquants restent le travail forcé. Ils (les Blancs, ndlr) arrivaient au village, prenaient les personnes qu’ils voulaient pour aller travailler je ne sais où. Et pour vous inviter à bien travailler, ils n’hésitaient pas à utiliser la chicote. » C’est sans doute à cette époque que naît son insatiable soif de justice et de démocratie.

Il entre très tôt dans le débat politique et contestataire. C’est dans le secondaire qu’il fait ses premières armes, à l’occasion de la Campagne du Non au référendum de 1958. De Gaulle demandait aux Gabonais, alors « sujets français », s’ils souhaitaient continuer à faire partie de la Communauté française (l’équivalent du Commonwealth britannique). Il y aura 92% de Oui et le Gabon n’aura son indépendance que deux ans plus tard (17 août 1960).

Etudiant brillant

Quand il arrive en France, il est déjà aguerri au combat politique, car formé par le syndicalisme à travers les associations. Une valeur sûre, à qui l’on confie le poste de secrétaire général de la puissante Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone (Féanf) et celui de trésorier au sein de l’Association Générale des Etudiants du Gabon (AGEG). Ses relations prennent un tournant radical en 1961, à la faveur d’un événement pourtant anodin : une conférence au Gabon sur les mariages mixtes que le jeune étudiant Agondjo avait été amené à animer. A son retour en France, il en fait un compte rendu dans le journal L’Etudiant du Gabon. Mal lui en a pris. Léon Mba, qui considére le magazine estudiantin comme un torchon subversif, décide de couper la bourse de tous ceux qui y contribuent.

Mais, Agondjo, élève brillant, adresse un frondeur pied-de-nez au régime en envoyant à l’ambassadeur du Gabon en France les papiers de sa médaille d’honneur de la faculté de droit de Lille, sanctionnant le meilleur élément de l’établissement. Il ne manque pas non plus, à la fin de sa seconde année, d’envoyer ses résultats, avec mention, aux officiels gabonais. « Un jour, l’ambassadeur me convoque pour m’annoncer que Léon Mba voulait bien me rendre ma bourse, mais à condition que je lui demande pardon ! Mais qu’avais-je fait pour lui demander pardon ? J’ai refusé ». Malgré cela, sa bourse revient deux mois plus tard. Nouvelle convocation de l’ambassadeur qui veut, cette fois-ci, qu’Agondjo dise « merci » au Président. « S’il veut la supprimer à nouveau qu’il la supprime, mais je ne vois pas pourquoi je devrais lui dire merci », retorque-t-il. Le fait est qu’il avait dans l’intervalle trouvé un emploi de surveillant dans une école près de Lille et qu’il avait réussi à décrocher un prêt d’honneur de la banque. « Je me fichais éperdument de la bourse ». Bourse qui lui sera d’ailleurs définitivement supprimée peu après.

Fuir les sbires de Léon Mba

Ses démêlés avec Léon Mba ne s’arrêtent pas là. Las du vent contestataire venu de Paris, le chef de l’Etat décide d’employer la manière forte. Il envoie tout simplement la police gabonaise arrêter en France, « avec la complicité de la police française », les étudiants gabonais figurant sur la liste noire du régime. Averti in extremis de la manœuvre Me Agondjo demande sans succès l’asile politique à l’ambassade de Guinée puis à celle du Ghana. C’est à Paris qu’il rencontre les membres de la Feanf qui lui donnent 10 000 FF (1 500 euros) et lui demandent de disparaître. Il se terre trois semaines chez un parent à Paris, puis direction la Suisse. Il suivra la même filière que les Algériens du Front de libération nationale.

C’est le doyen de la faculté de droit de Lille qui déliera l’affaire. Après avoir eu vent de la situation, il écrit en personne au Général De Gaulle pour lui demander qu’on arrête d’inquiéter des étudiants au parcours scolaire irréprochable. Et celui de Me Agondjo l’est assurément. A son retour de Suisse, il passe et obtient, la même année, deux troisièmes cycles, un en Droit privé, l’autre en Histoire, où il décroche une mention très bien. Il réussit également avec brio son certificat d’aptitude à la profession d’avocat et devient ainsi le premier avocat, et futur bâtonnier, gabonais de l’histoire.

Premier avocat noir du Gabon

A la mort de Léon Mba, le doyen du barreau gabonais, Me Vannoni, un avocat corse, l’appelle pour lui proposer de travailler dans son cabinet. « Il me proposait 150 000 FCFA. Mais une fois que je suis rentré au pays, il s’est complètement rétracté ». Alors Me Agondjo cherche un employeur chez les autres avocats du pays, tous des Français à l’époque. Personne ne lui donne sa chance, sauf Me Julien qui lui entrebâille la porte. Il saute évidemment sur l’occasion.

Me Vannoni restera son ennemi juré dans le cadre professionnel. Lui, le doyen des avocats du Gabon, lui l’avocat de l’Etat gabonais et du Président de la République, ne porte pas le jeune avocat noir dans son cœur. Il tente à de multiples reprises de le discréditer auprès du chef de l’Etat, il ne cesse de lui mettre les bâtons dans les roues. Il faut dire que Me Agondjo, en tant que premier avocat gabonais, est la coqueluche du peuple et que l’on vient de loin pour le voir plaider.

8 ans de travaux forcés

Sa première plaidoirie fait date. Celle qu’il prononce lors du procès de Madame veuve Mba Germain, en 1971, inculpée et arrêtée pour outrage au Président de la République, alors qu’elle ne faisait que demander le corps de son mari tué par les services secrets du pays. C’est gratuitement que Me Agondjo défend la cause de la famille qui s’est constituée partie civile. Il y démontre clairement la culpabilité de l’Etat et affiche au grand jour et même en dehors des frontières les dessous de la machine gouvernementale. Une audace que le pouvoir ne lui pardonnera pas. Il est arrêté l’année suivante pour « atteinte à la sûreté de l’Etat ». Au terme d’une parodie de procès, il est condamné à 8 ans de travaux forcés.

Il traverse ainsi la plus dure période de sa vie. Si sa soif de justice et ses convictions s’en sont trouvées grandies, il ne sortira pas indemne de l’épreuve et, malade, il n’aura jamais vu la mort d’aussi près. Placé en liberté conditionnelle après 4 ans de détention, il a gardé jusqu’à sa mort les terribles séquelles de son cauchemar carcéral. Le choc psychologique le rend diabétique. Son enfermement le rend claustrophobe. Il sera atteint d’une cécité partielle et beaucoup lui attribuaient également la maladie de Parkinson, ce qu’il a toutefois toujours démenti. Le chef de l’Etat, se sentant coupable du terrible sort de l’avocat, lui confiera pour se disculper : « Ce sont mes amis qui m’ont induit en erreur ».

« La majorité des pays africains (...) sont tous des pays néo colonisés »

Candidat aux élections présidentielles en 1993 (où il obtient officiellement 4,7% des votes), il renonce, pour des questions de santé, à se représenter en 1998. Maire de Port-Gentil de 2000 à 2003, il quitte la mairie à cause de la nouvelle loi sur le cumul des mandats pour se consacrer à son rôle de député. Il est resté jusqu’à la fin président de son parti, le Parti Gabonais du Progrès (PGP). Au crépuscule de sa vie, il jetait un regard lucide et sans complaisance sur le régime en place et l’après Bongo. « Pour moi, la majorité des pays africains, surtout francophones, sont des pays néo colonisés sans véritable souveraineté. Et le Gabon n’échappe pas à la règle. Il fait partie, au même titre que la Côte d’Ivoire, du pré carré de la France qui y possède de nombreux intérêts notamment pétroliers », expliquait-il.

Le pilier de tout le système reste Omar Bongo Ondimba lui-même. « Tout le monde redoute l’après Bongo, commentait Me Agondjo. Les gens se disputent la succession, mais il semblerait qu’il veuille mettre son fils à sa place (Ali Ben Bongo Ondimba, ndlr). J’en veux pour preuve le fait qu’il soit toujours ministre de la Défense afin qu’il puisse contrôler l’armée. Or il n’a pas le charisme de son père. Je suis sceptique quant à son habileté politique. Il a même des adversaires au sein de sa propre région. Les Français le disent par ailleurs pro-américain. Vont-il le laisser faire s’il prend le pouvoir ? La France va forcément sauvegarder ses intérêts. »

Un scénario catastrophe possible

Comment se passera donc la transition ? « Je n’exclus pas un changement brutal comme ça a failli être le cas en 1990, avec un soulèvement populaire, expliquait-il. La jeunesse actuelle est très vindicative. Je n’ai eu de cesse de la calmer, car je crois qu’il faut laisser du temps au temps. » S’il estimait qu’une confrontation frontale avec le pouvoir équivaudrait à « se battre contre des moulins à vent », il revendiquait entièrement son afro-optimisme et nourrissait l’intime conviction que l’Afrique allait se réveiller un jour. « Mon seul rêve pour le pays serait un Gabon vraiment démocratique. Tant que la démocratie n’y sera pas profondément ancrée, le Gabon sera toujours un bateau ivre ».

Ses yeux et son sourire brillaient de la fierté d’avoir su rester fidèle à ses convictions. Quand on évoque le nom de Paul Mba Abessole, ancien opposant « qui n’avait de radical que le nom » aujourd’hui ministre d’Etat, ministre des Droits de l’Homme, bombardé en janvier 2003 vice-Premier ministre et ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et du Développement rural, il souligne qu’il a complètement dérouté l’opposition avec son étonnante volte-face. « Son départ a créé beaucoup de remous dans l’opposition, qui a vécu cela comme une véritable trahison. Pour ma part, je n’ai jamais cru en son opposition radicale, comme je l’avais dit à plusieurs reprises », affirmait Me Agondjo. Si le fondateur et président du Rassemblement national des Bûcherons avait refusé au départ de nombreux postes ministériels, il est devenu aujourd’hui le chantre de la « démocratie conviviale ».

Toujours refuser d’être ministre

Figure de proue de l’opposition, Paul Mba Abessole, « dont la popularité s’explique par le fait qu’il appartienne à la plus importante ethnie du Gabon (les Fang, ndlr) », précise Me Agondjo, avait connu l’exil. Candidat malheureux aux présidentielles de 1993 (les premières élections multipartites de l’histoire du pays) et de 1998, il fut par ailleurs maire de Libreville (1996-2003). Il s’inscrit à l’heure actuelle, aux côtés de son ancien adversaire, comme l’un des hommes forts du pouvoir.

Me Agondjo, quant à lui, n’a jamais retourné sa veste. Et ce ne sont pas les occasions qui lui ont manqué ! Tout aussi radical que le sieur Abessole des années 90, il aura su faire preuve de sagesse en évitant le bain de sang au lendemain des élections de 1993. Après la désobéissance civile prônée par Mba Abessole, il lance finalement, lui qui était l’un des fondateurs du Haut Conseil de la Résistance (HCR), un appel « à la paix des braves » qui ouvre les négociations entre le pouvoir en place et l’opposition. C’est lui encore qui dirigera, quatre mois plus tard, la délégation de l’opposition pour les Accords de Paris en 1994. On lui avait alors proposé le portefeuille de ministre de la Justice, qu’il a refusé. Tout comme les autres ministères que le chef de l’Etat lui a proposé par la suite.

L’hommage de Bongo

Me Agondjo laisse derrière lui 11 enfants et une vie de lutte, chargée de symboles. Des qualités humaines et politiques que personne ne saurait lui contester. Le chef de l’Etat a lui-même salué le défunt en synthétisant l’essence de ce qu’il fut : « La disparition de Me Agondjo constitue une grande perte pour l’ensemble de la classe politique gabonaise au sein de laquelle, il a su occuper pendant plusieurs décennies une place importante. Figure, emblématique, homme de conviction fortement attaché à ses principes, Me Agondjo a su aussi apparaître comme un homme d’Etat ouvert au dialogue chaque fois que l’intérêt supérieur de la Nation l’imposait », rapportait récemment le quotidien gabonais L’Union.

« Considéré comme un rassembleur et un partisan de la paix, [sa disparition] compromet les chances de l’opposition de favoriser la transition politique au Gabon en décembre », selon les responsables du PGP, rapportait Jeune Afrique l’Intelligent le 29 août dernier. Espérons seulement que ses disciples sauront perpétuer le précieux héritage qu’il leur lègue et dont Pierre-Louis Agondjo Okawé mériterait, à titre posthume, que le Gabon s’inspire.

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