Ou est passé la BD du GABON?  



Jusqu'au milieu des années 1970, il n'y avait pas de maisons d'édition au Gabon, hormis quelques publications officielles et des organes de presse internes de grandes sociétés commerciales.
La bande dessinée commence en 1976, avec la parution des premières bandes dessinées de Munoz, un dessinateur français, dans L'Union, le premier quotidien national d'information. Quelques mois plus tard, dans le même journal, les premières caricatures sportives apparaissent sous le pseudonyme de "coup franc". Celles-ci s'arrêteront en 1979.
Munoz illustrera également de 1977 à 1982 un hebdomadaire de spectacle et de loisirs, "Libreville, Port - Gentil, Franceville 7 jours". L'Union publiera jusqu'en 1983, quelques bandes dessinées européennes envoyées par le journal Kouakou.
L'année 1983 marque un premier tournant décisif dans l'évolution de la bande dessinée gabonaise : L'Union change de formule et réserve une place à la bande dessinée. Elle est inaugurée par Les aventures de Magen de Lhoÿs, reprise d'une BD réalisée en Europe. Cette même année, Hans Kwaaital, un jeune gabonais de 18 ans, reprend, sous le pseudonyme d'Achka, les caricatures sportives dans L'Union et, en parallèle, édite durant deux ans un strip quotidien, Bibeng, l'homme de la rue, qui symbolisera pour longtemps le Gabonais de la rue. C'est le début d'une belle carrière. Comme le dira plus tard Achka : "Cette époque a correspondu pour moi à une époque d'apprentissage ; je reconnais que mes lacunes tant pour les graphismes que pour les scénarios étaient indéniables, mais je ne m'en formalisais pas. Ce qui comptait pour moi alors, c'était de voir mes dessins reproduits sur un support quelconque… (1)".
À Achka succédera en 1984 le jeune Richard Amvane qui, sous le pseudonyme de Laurent Levigot, démarre sa collaboration avec L'Union par une série Les points sur les i. Il va peu à peu créer un monde et un univers bien à lui, en particulier le personnage de Tita Abessolo, vieux villageois farfelu doté d'un grand bon sens. Levigot dessine également une série dont le personnage central est Mamy Wata, l'esprit des eaux.
Levigot devient le dessinateur attitré de L'Union où il publie tous les jours plusieurs dessins, en particulier une BD à suivre qui devient l'un des arguments de vente du journal.
Levigot collabore également, à un rythme prolifique, à plusieurs revues de sociétés commerciales et à des bandes dessinées éducatives.
Pendant ce temps, 2 ans après avoir tenté l'aventure, pour le compte de Editec Gabon, d'un hebdomadaire gratuit de petites annonces, le Coin coin, où il dessinait la série du canard Hypotec, Achka lance le premier journal de bandes dessinées du pays : Cocotier qui démarre en mai 1985 et publiera 5 numéros jusqu'en février 1986. Il y reprendra le personnage de Bibeng et créera celui de Ditengou, facétieux gnome mi-monstre, mi-humain, au milieu d'autres dessins des Français Munoz et Dominique Guérin (série Bouka).
En 1986 est lancé, L'Union magazine, magazine d'information mensuel. Parmi ses collaborateurs, on retrouve les bédéistes Achka et Laurent Levigot qui, en parallèle à sa production dans L'Union, lance une nouvelle série, Monsieur Soya, pendant urbain de son oncle Tita Abessolo.
Le style de Levigot s'affirme et se diversifie sur le plan graphique et narratif avec l'éphémère revue Afrikara, guide des loisirs et des affaires, qu'il lance en 1987 avec l'éditeur Scoop Gabon où il fait connaître deux nouveaux personnages de son univers créatif : Ayo, "une adolescente au village, victime d'un père matérialiste et Ombiri, un adolescent au village, fasciné par les aventures mystico - oniriques. (2)"
En 1988, Achka crée la première maison d'édition de bande dessinée d'Afrique francophone qu'il baptise Achka. En mars 1989, démarre la collection Equateur qui a pour objectif de publier les œuvres des meilleurs auteurs africains de BD.
Entre 1989 et 1992, 7 bandes dessinées sont éditées, quatre de l'Ivoirien Lacombe et son personnage fétiche Monsieur Zézé (3), deux de Laurent Levigot (4) et une de Achka (5).
Malheureusement, l'éditeur Achka cessera sa production en 1992, ce qui mit fin au rêve de création d'un éditeur africain de BD et laissa un grand vide dans le pays.
Cette génération de dessinateurs est complétée par Fargas, un jeune dessinateur zaïrois formé en Belgique et venu à Libreville pour y entreprendre des études de médecine. Il commence ses premiers dessins dans le premier numéro de Cocotier où il présente une histoire mystico - fantastique qui se déroule à Libreville : Force macabre sur un scénario de Sima Olé. Malheureusement, hormis deux albums de commande, l'un sur le Sida publié en 1992 : Yannick Dombi ou le choix de vivre (6), l'autre sur le trafic d'œuvres d'art en 1999 : Les rats du musée (7), et un autre album auto produit en 1995 : Balle de match, cet auteur très talentueux ne se produira que de façon très épisodique.
En 1997, le collectif BD Boom se constitue, suite à un concours - atelier organisé en 1996 par le Centre Culturel français Saint Exupery et encadré par Jano. La même année, elle lance une revue du même nom spécialisée dans la bande dessinée, avec le soutien de l'Ambassade de France et d'organismes de lutte contre le Sida. Les noms de ces artistes deviendront vite connus dans le pays : Ben Rhodes, Joël Moundounga (Directeur de la publication), Ly Beck, Sophie Endamne, Lin Hervé Evoza (rédacteur en chef), Pahé, NGT, Yéno Patinon, Ekomi, Mapland, Mbodet Rubin, Crabbé, Landry Eliwatchango, le Congolais Makonga (8)….
Le premier numéro de BD Boom sort au début de l'année 1997. Il sera suivi de huit numéros jusqu'en 1999 et permettra le redémarrage du 9e art quelque peu moribond dans le pays. Trois albums collectifs à vocation éducative réalisés par la même équipe sortiront également par la suite : Koulou chez les bantu (1 998), BD Boom explose la capote (1 999), Le droit d'être enfant (2002) (9).
1 998 et 1 999 sont marqués par l'organisation des deux seules Journées africaines de la bande dessinée (JABD) qui se tiennent à Libreville (10) avec le concours de l'Union Européenne, le programme régional bantu, la Coopération française et BD Boom. Ces JABD ne seront pas le premier salon de la bande dessinée qui se tiendra en Afrique (11) mais constitueront un événement du fait de son retentissement. En plus de plusieurs dessinateurs européens, du directeur du festival d'Angoulême et des artistes de BD Boom, pas moins de dix pays africains sont représentés (12) ! Ces Journées seront l'occasion d'échanges, de rencontres entre des créateurs à l'époque très isolés et dont certains seront édités par la suite en Europe.
Pendant ces quelques années, Libreville devient la capitale de la BD africaine (13).
Certains continuèrent une belle carrière individuelle. Le cas le plus emblématique est celui de Ly Beck (de son vrai nom Yvon Landry Bekale) qui produisit 5 albums individuels, tous financés par des programmes de coopération. En 1998 et 1999, L'empreinte de la tortue et La merveilleuse aventure de Jojo (Ecofac) sur l'utilisation rationnelle des ressources naturelles et plus particulièrement des tortues marines. En 2000, Défense d'Ivoire (Ecofac) sur la protection des éléphants, et Plongé dans l'alcool (avec Joël Moundounga) sur les ravages provoqués par l'alcool. Puis, en 2004, nouvel album Toutou et les braconniers : alerte à Djinga (WWF) sur l'exploitation forestière. Ly Beck participa également, avec Mapland, à la revue Le réveil au début des années 2000.
Joël Moundounga a réalisé en 2001, au Gabon, une bande dessinée pour les enfants Super savon la propreté c'est la santé !, soutenu par l'ONG italienne Aliséi.
Et puis, rien, plus rien pendant plusieurs années….Il n'y eut pas d'autres JABD et BD Boom se mit en veille…..Quasi définitivement…
Quelques réalisations ont néanmoins permis de constater que certains d'entre dessinateurs continuaient de travailler.
Joël Moundounga a publié Kengué dans l'album collectif A l'ombre du baobab (2 001). Yéno Patinon, autre membre de BD Boom, a dessiné en 2003 Présumé non voyant dans le N° 2 de la revue collective lilloise Afro bulles (Ed. du palmier vert).
Pahé (nom de plume de Patrick Essono) a continué dans le dessin de presse et la caricature et a publié dans plusieurs de journaux du pays (La griffe, le moustik, la cigale enchantée, le scribouillard, etc.). Il a également travaillé pour la chaîne de télévision TV + où il animait une émission satirique Les n'infos de Pahé tous les samedis (14) ainsi que sur Internet chez assala (15).
Mais, Pahé n'a pas abandonné la bande dessinée pour autant. Il participe à l'édition 2 005 - 2006 de l'album italien Africa comics (Aide. Laï momo), fait partie de l'équipe de dessinateurs du journal numérique de BD Para jaka où il continue les aventures de son personnage de petit albinos nommé Dipoula qui avait déjà fait l'objet d'une BD locale et édite à compte d'auteurs plusieurs albums de caricatures : Les choses du pays et Gabonais… gabonaises.
En 2005, la rencontre avec Pierre Paquet, des éditions suisses Paquet lors d'un festival de bandes dessinées lui permet de sortir son premier album, d'essence autobiographique : La vie de Pahé, T.1 : Bitam qui fut très bien accueilli par les critiques et le public.
Mais ce succès arrive au pire moment pour la bande dessinée gabonaise, les dessinateurs font maintenant tout autre chose pour certains ou se sont repliés sur le dessin de presse. Comme le déclarait Pahé à Angoulême en 2007 : "La Bd gabonaise est quasi inexistante…. Et dire qu'une nouvelle scène est en train d'émerger serait une bonne blague, voire de l'humour noir ! Les dessinateurs que je connais bossent plutôt pour des journaux de presse écrite locale. (16)". Espérons cependant que cette future trilogie donnera des idées à un milieu artistique quelque peu découragé et désabusé.


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