Tolérer le mal pour éviter le pire  


: « Tolérer le mal pour éviter le pire ». [...]Il s’est agi de savoir si la tolérance était une bonne ou une mauvaise chose. Les premières interventions eurent pour effet de lister les méfaits de la tolérance. Signe de lâcheté, tolérer le mal ne résoudrait rien. « On ne tolère pas le mal, on l’accepte temporairement ! » lança une intervenante. Mais accepter, temporairement ou pas, est-ce autre chose que tolérer ? Or, c’est la tolérance qui, entraînant une incapacité à agir, serait un mal. Il nous faudrait donc résister contre le mal et non le tolérer. Et ne vaut-il pas mieux répondre au mal par le mal ?
Ou alors adopter une tactique d’évitement, car tout combattre serait aliéner sa liberté et « qui trop combat le dragon devient dragon lui-même » (Nietzsche). D’un autre côté, que vaut une liberté anesthésiée par une tolérance excessive ? Il serait toutefois mal venu de faire le procès de la tolérance un jour d’élection, fit remarquer l’animateur. Car enfin, tout le monde s’accorde à dire que c’est l’intolérance qui est insupportable, et non la tolérance. Cela ne m’a pas semblé évident du fait sans doute de ma méfiance naturelle pour les mots. Ce qui me paraît insupportable, c’est l’absolu. Une tolérance ou une intolérance relatives n’ont à mes yeux rien d’insupportables. Il nous faudrait à présent approfondir la notion de mal, demanda l’animateur. Un participant conseilla de ne pas s’aventurer sur le terrain de la métaphysique pour définir le mal, afin de ne pas tomber dans le religieux (qui n’est pas l’objet du débat). Et alors, répondit l’animateur ? Que gagnerions-nous à éviter la question métaphysique ? On ne l’a pas su, mais plusieurs définitions du mal se firent jour malgré tout. Pour certains, ce serait le déséquilibre intérieur, l’absence d’harmonie. Mais, fit remarquer l’animateur, il faut aller plus loin car remplacer « bien » par « harmonie » n'explique rien. L’harmonie n’est jamais qu’un ordre (un agencement) particulier, et on ne peut pas dire que les régimes totalitaires, pour ordonnés qu’ils soient, soient bons. Je restais dubitatif. Comment peut-on lier harmonie et régimes totalitaires, et que cherche-t-on à prouver ? Qu’un ordre n’est ni bon ni mauvais en soi ? Soit, mais à commencer par celui des idées – c’est-à-dire des associations d’idées –, alors... Pour d’autres, le mal réside dans la violence des uns ou la souffrance des autres. Pour d’autres encore, c’est tout ce qui détruit la dignité d’une personne. Autrement formulé, c’est considérer l’autre comme un moyen et non comme une fin en soi, aurait dit Kant. Dans ces conditions, qu’est-ce qui est pire que le mal ? [.......]Le débat s’engageait sur les sentier escarpés – l’expression « droit chemin » me semble tout à coup inappropriée – de la morale et de l’éthique. Nous allions ainsi passer de Kant à Machiavel, avec la question : la fin justifie-t-elle les moyens ? Par exemple, peut-on justifier la torture d’une personne pour éviter un attentat qui ferait des milliers de victimes ? Là encore, pas de réponse. Une intervenante fit judicieusement remarquer que cette dernière question opérait un déplacement du sujet : le bien serait alors assimilé à la vie, et le mal à la mort. Or, rien ne nous permet de faire une telle équation. La vie n’est ni un bien ni un mal en soi, pas plus que la mort. Donc, on ne peut pas dire que sauver des gens soit un bien. Toutefois, fit remarquer l’animateur, il n’est pas si facile de séparer la notion de bien de celle de vie. Si la vie est devenue le bien suprême, tout ce qui va dans le sens de la vie permet de supporter, de tolérer la souffrance ou la violence.[......]

Le problème qui se pose est double, remarqua une participante. D’une part, c’est celui de l’évaluation, de l’appréciation du mal présent, et d’autre part, c’est celui de l’incertitude liée au futur. On tolère non pas le mal, mais ce qu’on ne comprend pas, ce qu’on ignore, parce qu’on ne peut pas tout savoir. La tolérance est un pari. [...]. Que peut-on savoir du pire avant qu’il n’advienne ? Pourtant, Murphy nous renseigne parfaitement à ce sujet : « Si quelque chose peut mal tourner, alors ça tournera mal. » Certes, on ne peut savoir qu’après coup si on a eu tort ou raison de tolérer. Mais quand le ver est dans le fruit et qu’on ne veut pas le voir accords de Munich? Tout compromis est un engrenage et il vaut mieux prévenir que guérir, dit-on. Mais comment faire ? Si je considère ce moustique qui me tourne autour et m’agace ? Dois-je le tolérer ou le supprimer ? Et si je le laisse partir et qu’il est porteur du paludisme ? Dois-je alors supprimer tous les moustiques, pour être cohérent ? On a jusqu’ici évité le pire, c'est-à-dire une guerre atomique qui aurait détruit la planète, dit l’animateur. Quel succès (si, si) ! Mais l’avons-nous vraiment fait exprès ? Du moustique à la bombe atomique, il m’apparut que nous ne maîtrisions absolument rien, mais que nous avions des velléités de tolérer, d'endurer, de supporter ceci ou de ne pas accepter cela. Imbéciles vaniteux que nous sommes ! Le seuil de tolérance d’un individu à l’autre, d’une communauté à l’autre est aussi variable qu’aléatoire. On ne sait pas davantage ce que peut un corps (Spinoza) que ce que peut un esprit. Cent fois nous laisserons passer ce qui ne nous plaît pas, nous le tolèrerons, et puis la cent unième nous nous révolterons. Quand ? on ne sait pas, ça dépend du seuil. Pourquoi ? on saura toujours l’expliquer mais seulement après, parce qu’avant, personne n'aura voulu nous entendre. N’est-ce pas précisément le rôle de la philosophie d’anticiper et de prévenir les maux des hommes ? Or, elle semble bien plutôt agir comme un cataplasme que comme un guide préventif de nos actions, à l’instar du daimôn socratique. Est-il rassurant de savoir que « nul n'est méchant volontairement» quand on constate que le monde est peuplé d'involontaires ? Selon la loi de Murphy toujours, si l’homme a les moyens de faire sauter la planète, il le fera. La question est : quelle loi ou quel concept philosophique (éthique) pourrait rendre cette loi caduque ?

Écrit par Marc Goldstein


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