La fable et la poésie
Le pionnier de la fable au Gabon est sans conteste Monseigneur Jean-Jérôme Adam,qui est considéré comme le traducteur de la littérature orale du Gabon. Il est auteur de deux recueils sur les fables : Proverbes, devinettes et fables Mbédé et Fables et Proverbes du, Haut- Ogooué. Parmi ses fables célèbres, on peut citer : « La première femme », « L’homme aux trois femmes », « L’homme à l’œil », « Les deux chefs de village », « La botte de feuille », « La panthère qui simule la mort.» et « La famille », (sous- titrée : Le fils du rat qui renia son père). Dans cette fable, on peut lire cette morale : « Ne renie pas ton père parce qu’il est petit : si tu as un palabre, c’est lui qui le finit. ». La fable de Monseigneur Jean-Jérôme Adam est généralement l’évocation et la transposition des traditions, des mœurs et des coutumes des ethnies Ambédés et Mindoumous du HautOgooué. La passion pour la fable gagnera ensuite les nationaux gabonais, dont Pierre Akendengué, Haubam Bidzo, Ndouna Dépeneaud, Moïse Nkoghe-Mvé, Jean-Claude Quentin, etc. Pierre Akendengué est auteur de deux fables célèbres : « Nandipo » et « Oma Ayiya ». Dans la fable « Oma Ayiya », on peut lire Mon camarade Eziwo « l’antilope cochon » le matinal, A coutume de faire pipi aux aurores. On en a conclu que personne d’autre que lui N’a pu faire caca très tôt ce matin Sur la place publique. C’en est fait de sa renommée Et on l’accuse et on l’accuse [...] Il y a des noirs; Il y a des clairs, À chacun son étoile Et toi pauvre Nkambi, Naguère entouré Tu te retrouves sans un seul ami La poésie véritable apparaît vers la fin des années 50 et après les indépendances. La génération qui anime ce genre dans les années 50 et quelques années après l’indépendance est composée de Georges Damas Aléka, auteur de l’hymne national du Gabon, « La Concorde » (poème chanté), Henri Walker- Deemin, auteur du recueil Poèmes de France publié en 1963, etc. La décennie 1970 révèle une nouvelle génération de poètes au Gabon. Celle-ci va dominer la scène littéraire gabonaise, à partir de 1974. De 1974 à 1979, de jeunes poètes se font connaître comme Edgar Moundjégou, Okoumba- Nkoghé, Georges Rawiri, Ruffin Koumba-Koumba et bien d’autres. La poésie gabonaise des années 1974 à 1979 est construite autour de l’idée de l’engagement et celle de la désillusion. Le héraut de cette forme de poésie est sans conteste Edgar Moudjégou dont les textes et la portée idéologique seront rendus sonores par la voix de Pierre Akendengué qui saura adapter en musique les poèmes de son camarade de lycée. Cette poésie se construit autour de la défense des valeurs de la liberté. La désillusion inscrite dans cette poésie rejoint celle dont font écho les textes romanesques négro-africains des années 1970 avec le bilan désastreux des chefs africains sur lesquels on comptait pour construire une Afrique forte et enviable. La poésie d’Edgard Moundjégou (ou Magang-Ma- Mbuju-Wisi) va reprendre l’une des thématiques ayant dominé l’écriture de l’essai au Gabon entre les années 1944 et 1970 ; à savoir l’Afrique : Afrique mère me voici nostalgique surpris par les premiers chants du coq et jaloux de ma dernière nuit creusé dans la pierre des totems je les ai pliés parmi mes bagages tous nos adieux hier épars sur le couvercle des saisons sur la croûte des continents sur la cendre des âges de mon âge d’initié les battements de mon coeur à l’instant solennel tombent en cataractes par- dessus l’épaule de ma révolte en-bras de chemise partir et aimer une terre pillée partir et oublier la transe des mouchoirs à la ronde des brises matinales partir et enjamber avec regret un rythme de tam-tam moi esclave d’hier moi cible d’aujourd’hui moi homme libre de demain j’attends avant de te quitter encore mère ce qui n’a pas été l’aube humide baignée des rosées de la liberté. A cette forme de poésie aux relents révolutionnaires et nostalgiques, Georges Rawiri oppose un autre discours poétique. Sa poésie chante et célèbre la grandeur et la beauté de la culture gabonaise. Elle invite à la communion des valeurs culturelles nationales des peuples du Gabon à travers le thème de l’Unité nationale. Dans son recueil au titre évocateur, Chants du Gabon, on retrouve chez le poète cette volonté de célébration de la culture de son pays : Ô masque Bakota, tes profondes orbites Regardent le présent, masque au teint effacé, Qui a su résister au temps comme aux termites, Impassible témoin d’une ère dépassée. Ton air grave, ton front haut et puissant abritent L’ombre mystérieuse où survit ta pensée, Tu es le livre clos où dorment les vieux rites, Et tu veilles sur nous, austère et compassé. Tu es l’ancêtre aimé, le symbole suprême De toute une famille aujourd’hui dispersée, Mais que chaque saison autour de toi ramène. Tu es l’élan vital, par les dieux dispensé, Le messager lointain d’une histoire africaine Dont le présent jamais n’oubliera le passé. Avec la poésie d’Okournba- Nkoghé, le vers chante et célèbre l’amour et la nostalgie d’un fils loin de sa terre natale. D’autres poètes suivront, surtout la génération des années 1980 et 1990 avec Pierre Odounga Pépé, Janvier Nguema Mboumba, Eric-Joël Békalé, Anges-François Ratanga-Atoz, Joseph Bill Mamboungou. Cette génération de poètes de la fin du siècle dernier est suivie d’une autre génération qui ouvre le nouveau millénaire avec Ferdinand Allogho-Oke, Lucie Mba et Gustave Bongo. Les deux dernières générations de poètes gabonais n’inaugurent pas de thématique nouvelle, sauf chez Allogho-Oke, dans Vitriol Bantu. On retrouve généralement chez ces derniers les thématiques déjà présentes dans la poésie gabonaise depuis son avènement au début des années 1960 avec Poèmes de France d’Henri Walker-Deemin.