Livre sur Pierre Claver Nzeng  

Pierre-Claver Zeng et l’art poétique fang : esquisse d’une heméneutique

Il semblerait que l’on n'ait pas encore pris la juste mesure de l’extraordinaire patrimoine que constitue la chanson africaine contemporaine. Certes, nombre de chanteurs ou de groupes font-ils l’objet d’une reconnaissance méritée, mais tout se passe comme si l’on en restait le plus souvent à l’enveloppe, la musique, les rythmes, sans égard pour le contenu. Or, celui-ci est généralement loin d’être anodin, comme l’a déjà montré Sylvain Bemba dans l’étude qu’il a consacrée, voilà quelques années, à Cinquante ans de musique du Congo-Zaïre (Paris, Présence Africaine, 1984).
On ne peut donc que féliciter Marc Mvé Bekale de nous proposer ici une première approche de l’un des plus grands interprètes de l’Afrique centrale, le poète-chanteur Pierre-Claver Zeng, qui est, avec Pierre Akendegué, l’un des chanteurs les plus représentatifs du Gabon. En intitulant son travail Pierre-Claver Zeng et l’art poétique fang : esquisse d’une herméneutique, Marc Mvé Bekale se place d’emblée sous l’égide du dieu Hermès, généralement associé à l’éloquence et à l’art divinatoire, un don qu’il tenait de son frère Apollon. On dit aussi que son rôle de conseiller auprès d’Héraclès lui avait acquis la réputation de « psychopompe », c’est-à-dire de guide chargé de conduire les âmes des défunts aux enfers.
Il ne faut donc pas s’étonner, dans ces conditions, de la dimension ésotérique que l’auteur prête à la poésie de Pierre-Claver Zeng, une poésie au premier abord difficile, voire hermétique, dans la mesure où elle s’enracine dans l’archéologie de la culture fang. L’importance des rituels d’initiation qui s’y rattachent – en particulier le Byeri – est bien connue, mais il faut toute la perspicacité de Marc Mvé Bekale pour en discerner la richesse et la complexité. Loin de s’apparenter à une simple démarche « folklorique », seule soucieuse de l’apparence et de la surface, cette étude à la fois historique, sociologique, mythologique et formelle entraîne ainsi le lecteur dans une plongée en forme de voyage initiatique à l’intérieur d’une culture fang captée à la fois dans sa complexité et son ambiguïté.
Complexité d’un univers baroque peuplé d’esprits et de créatures inquiétantes, fantômes, monstres, revenants, animaux bénéfiques ou maléfiques… dont les ancêtres demeurent les gardiens vigilants, certes, mais pas toujours très loquaces. L’étude glisse alors vers une quête des origines, d’autant plus problématique qu’un certain nombre de repères tendent à s’estomper et que la symbolique elle-même se trouve souvent brouillée par l’adoption des valeurs étrangères importées d’Occident. Le vol de la perdrix délimite-t-il toujours les contours du territoire de la nation fang, et pourquoi l’antilope naine, dont le sacrifice prélude au culte du Byeri est-elle absente : « l’antilope s’est enfuie à l’orée du petit champ » constate, amer, Pierre-Claver Zeng.
Mais pour le poète-chanteur, il s’agit moins de se laisser aller à la nostalgie du paradis perdu que de prendre en compte, à bras le corps, une réalité contemporaine marquée par l’aliénation et l’inéluctable hybridité culturelle. S’il s’alarme à juste titre de cette béance que métaphorise tout un réseau d’images aquatiques négatives, la « source tarie », « le fleuve détourné », le « lac trouble », le « miroir bouffi » dans lequel se contemplent « ceux qui marchent à reculons », le poète ne se veut pas moins engagé dans le combat pour une renaissance africaine qui le conduit à apostropher rudement certains de ses contemporains qui refusent de prendre la juste mesure du péril : « le sommeil, n’est-ce pas le mal d’aujourd’hui ? », interroge-t-il.
A tous ces tièdes, ces bâtards culturels, Pierre-Claver Zeng oppose donc la parole de « ceux qui savent », et il les invite à rejoindre « l’abâ » ou maison des hommes, véritable centre géographique et symbolique du village, d’où s’origine toute la culture fang. A l’image d’un continent figé dans le souvenir d’une grandeur passée, qui est à ses yeux l’obstacle majeur à la construction de la modernité, Pierre-Claver Zeng oppose donc, comme le fait d’ailleurs son compatriote Laurent Owondo, le projet d’une Afrique dynamique apte à mobiliser toutes les énergies et les ressources dont elle dispose, et qu’elle ignore trop souvent. L’auteur d’Au bout du silence, également fortement ancré dans l’univers traditionnel gabonais, ne déclarait-il pas, il y a quelques années, à propos de la réécriture du mythe dont participe son roman, « pour ma part, je n’ai pas voulu donner une vision idéalisée du passé. Je n’ai pas voulu présenter deux aspects de l’Afrique qui s’excluerait mutuellement ». Et il ajoute « Pour parler d’une manière plus concrète, peut-on dire que nos comportements d’Africains d’aujourd’hui, nos rapports avec nous-mêmes et avec les autres, voire avec notre environnement, n’ont absolument rien à voir avec notre passé, notre mémoire ? Il ne s’agit donc pas de faire du folklore. Il s’agit d’interrogation. Interroger le passé en le juxtaposant au présent » (Notre Librairie, N° 105, avril-juin 1991).
A l’instar du « docteur-feuilles » haïtien, sûr de sa connaissance des « simples » dans la guérison des maux du corps, le poète entend se servir de la Parole pour vaincre la passivité de ses compatriotes. C’est tout le sens de l’allégorie du « Mibom Melan », ce paquet de fétiches qui renferme la plante utilisée dans le rite pour « ouvrir les yeux » du profane et lui livrer accès à un monde nouveau.
Mais ce projet ne serait que discours creux sans la magie du verbe de Pierre-Claver Zeng, dont, en spécialiste averti, Marc Mvé Bekale rend compte en montrant que la fonction du passeur de cultures qui est ici celle du chanteur gabonais, ne serait rien sans la véritable recréation à laquelle il procède, et qui repose pour une large part sur un ensemble de stratégie qui puisent dans l’arsenal infini des ressources poétiques (métonymie, synecdoque, ellipse, etc…). Quel que soit le travail de réécriture qui préside à la seconde partie du volume dédiée aux principaux textes de Pierre-Claver Zeng, on ne manquera pas de juger parfois difficiles d’accès, voire opaques, mais n’est-ce pas là la caractéristique de tous les textes fondateurs, plus particulièrement en Afrique, où la pratique de l’ellipse et de l’esquive – « l’obliquité sémantique » dont parle Michaël Riffaterre – est souvent l’obstacle délibéré placé sur la route du candidat à la connaissance.

Jacques Chevrier
Directeur de l’Institut International d’Etudes Francophones
Université Paris IV - Sorbonne

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Hommage à un monument de la culture gabonaise  

LIBREVILLE, (AGP)- Le député Pierre-Claver Zeng Ebome est décédé en France dans la nuit de mardi à mercredi de suite d’une maladie.

Député du Mouvement africain pour le développement (MAD), un parti qu’il avait créé à la suite de sa démission de l’Association pour le socialisme au Gabon (APSG).

Zen Ebome longtemps proche de l’ancien chef de l’Etat gabonais, Omar Bongo Ondimba, a viré dans l’opposition lors de la dernière élection présidentielle anticipée d’août dernier.

Le député du canton ‘’Elelem’’ dans le département du Woleu (nord) depuis 1990, a soutenu ouvertement lors de ce scrutin jugé crucial par beaucoup d’observateurs, l’ancien premier ministre Casimir Oyé Mba qui s’était retiré de la course 24 heures avant la tenue de ce scrutin.
Au sortir de cette échéance électorale, feu Zeng Ebome décide de dissoudre son parti le MAD pour rejoindre l’Union nationale (UN), nouvelle formation politique de l’opposition dans laquelle il occupait le poste de vice-président.

Hormis son engagement politique, ce fils de la province du Woleu-Ntem s’est fait connaître au grand public par ses chansons qui ont bercé au moins deux générations des gabonais.

Pierre-Claver Zeng Ebome a d’ailleurs été un des maîtres de plusieurs artistes chanteurs notamment l’équato-guinnéen Maélé Ndong.



BNN/IM

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PETIT LEXIQUE  

Petit lexique pour les pays d'Afrique et des Antilles

Bénin

boire une cigarette en fumer une…
deuxième bureau maîtresse d'un homme marié (id. pour 3éme, 4ème…bureau)
digaule homme de grande taille (comme feu le général)
entrer-coucher studio tellement petit qu'on ne peut y faire rien d'autre
être de nuit tour de nuit d'une des épouses d'un polygame
ménagerie travaux ménagers > les faire se dit "ménager"
sous-marin amant d'une femme mariée
ton pied mon pied femme qui surveille son mari en permanence

Cameroun

bétiser raconter des bêtises
cahier de roulement cahier sur lequel les élèves font à tour de rôle un devoir > fille légère qui passe de mains en mains
être derrière ne pas être au courant : "il est derrière comme ses fesses !"
long crayon / beaucoup connaît étudiant du deuxième cycle des universités : "J'suis tombée sur un long-crayon l'aut'soir, j'ai pas pu en placer une !"
longtemps femme âgée qui cherche à se rajeunir
sportif très actif sexuellement : "faire le sport", ou "le physique" = faire l'amour

Cap Vert

être constipé être enrhumé (du Portugais constipado)
Centre-Afrique
zognon oignon : "donne moi un zognon"
Congo
siquidilatif qui inspire grande confiance ou espoir (du kikongo : "sikidoula")
A.T.Z. Assistance Technique Zaïroise : prostitution (les Zaïrois ne sont pas très bien vus)

Cote d'Ivoire

aller jusqu'ààààà… aller très loin
cacaba personne qui a de petites jambes, minable. L'étymologie se devine facilement
compétir participer à une compétition sportive, être compétitif
en attendant sandales en plastique (qu'on achète en attendant de pouvoir s'acheter de vraies chaussures)
faire boutique mon cul se prostituer
faire caïman se lever la nuit, après le passage du surveillant, pour étudier
individu imbécile :"espèce d'individu!"
mari-capable / mon mari sors je sors / œil de ma rivale / yeux voient bouche parle pas… différents modèles de pagnes, utilisés en différentes occasions, ou pour mettre en valeur celles qui les portent. On oppose aussi les femmes de la campagne, les "pagneuses" à celles de la ville, les "robeuses".
poulet bicyclette poulet élevé en plein air : il a l'air de pédaler en courant
sapeur homme élégant (de sape ?)
toutou prostituée (qui coûtait two shilling two pence)

Haïti

avoir un coup de soleil pour qqun avoir une forte attirance, le coup de foudre
bacoulou homme rusé séducteur, trop entreprenant
chéqueur personne qui touche un salaire sans rien faire
dodine rocking-chair
être comme lait et citron être fâchés
farandoleur fanfaron
se mélancoliser devenir mélancolique
tap-tap petit autobus inconfortable et très décoré de scènes de la vie du christ
taratata joueur de trompette

Mali

débrouillé personne qui a appris le Français sur le tas et le parle assez mal
faire faire l'amour : "Que fait-il actuellement? - Il fait ! - Ah bon !"
faire coup détat prendre à un(e) autre son/sa petit(e) ami(e)
madame-bagage porteur, dans les gares ou les marchés
natte petite amie :"Viens ici, ma p'tite natte !"
vélo poum-poum vélomoteur

Martinique / Guadeloupe

argent-braguette allocations familiales
bonbon-fesses suppositoire : "prends un bonbon-fesses avant de te coucher"
collier-chou/grain d'or collier de petites perles en or
forçat collier formé de maillons très fins
doudou celui ou celle qu'on aime :"doudou ba moin en ti bo"

Niger

gardinier employé qui fait office à la fois de gardien et de jardinier
macas toutes les pâtes alimentaires, alors que "pâte" désigne des boules de céréales
pamplemousse femme de forte corpulence - on dit aussi "gourde"
prendre le train onze aller à pied ( le 11 représente les jambes du marcheur)
scandaleuse femme prompte à faire des esclandres
Réunion
culotte grandes manches pantalon
virer son pantalon retourner sa veste

Sénégal

arriérer aller en arrière, reculer : "Tu veux qu'j'arrière ? Fallait l'dire !"
baisser les pieds baisser les bras, se décourager :"baisse pas les pieds, on va t'aider !"
beloter faire un belote
braillé qui rentre sa chemise dans le pantalon, bien habillé (cf. débraillé)
cabiner faire ses besoins > "le goal a cabiné le ballon" : il l'a laissé passer entre ses jambes
cadeauter faire un cadeau : "mon chéri-coco m'a cadeauté un boubou"
camenbérer sentir affreusement mauvais, surtout des pieds
causeur conférencier (les conférenciers l'écoutent et dans un séminaire, les séminaristes)
confiturer faire des confitures
culs blancs véhicules à plaques d'immatriculation blanche > coopérants qui les possèdent
culs verts véhicules d'ambassades "ces culs verts se croient tout permis!"
dallasser rouler des épaules de façon prétentieuse, en référence au feuilleton Dallas
Une disquette* Jeune fille élégante et branchée
et pati et pata discours à tord et à travers
faire ses besoins vaquer à ses occupations, ses affaires
gossette petite amie
J.P. de Jeune Premier : jeune homme habillé à la dernière mode
quatre fois cinq "20" de palme
sénégalaisement à la manière sénégalaise, comme ci comme çà
Tchad
cadonner donner en prime, offrir
diverger prendre à une fille sa virginité ( la dévierger ?)
pinailler faire l'amour à une femme
locateur personne qui loue une maison à un locataire

Togo

balle perdue enfant né hors mariage, dont le père ne peut ou ne veut se marier
chercher le marché courir les filles
discute discussion qui tourne à la dispute
enceinter rendre enceinte (gagner l'enceinte=devenir enceinte)

Zaïre

céfé sigle : Connaissance Forcée, élève très appliqué
chaos k.o. : assommé, ivre mort, ou amoureux fou : "cette femme savante m'a mis chaos"
femme savante étudiante (qui sont très recherchées dans les bals)
fiançailles académiques liaison qui ne dure pas plus qu'une année universitaire
frousser avoir peur
gros mot mot savant
londonienne prostituée des boîtes fréquentées par les blancs
mezabi soutane : ce qu'un prêtre dit quand il demande qu'on la lui ammène
M.P.R. Mouvement pour la Révolution, détourné en Mourir pour Rien
prendre la ligne onze aller à pied ( le 11 représente les jambes du marcheur)
radio trottoir information non officielle qui se propage très vite
retrousso-manchisme doctrine des années 70 pour mettre à l'honneur le travail manuel
S.I.D.A. Syndrome Inventé pour Décourager les Amoureux
traiteur homme qui vit de combines
vigiler surveiller




Voir aussi : http://www.feliciedubois.com/popup_nano.php

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L'individu moderne  

L’occident a inventé, avec la révolution française, un type de vie qui rompt avec les sociétés traditionnelles qui associaient des individus dès leur naissance. Dans la nouvelle société moderne et individualiste, tout le monde réclame de l’air voulant éprouver de plus en plus le sentiment d’être libre. Aujourd’hui l’individu réflexif et évaluateur doit construire lui-même son identité et ses réseaux d’amis. Ainsi, si les individus souhaitent plutôt un lien social fort, ils ne veulent pas pour autant en payer le prix qui consisterait à diminuer leur liberté. En effet, chacun approuve l’individualisme à titre personnel et le récuse au niveau collectif.

L’individu existe donc par lui-même, contrairement à autrefois ou celui-ci était défini comme appartenant à un groupe. On parlerait d’ailleurs aujourd’hui de crise du lien social comme si cette crise était un raté de nos sociétés démocratiques. En réalité c’est une des caractéristiques des sociétés modernes. Nous serons en crise tant que nous serons dans des sociétés démocratiques. Cette crise est de quatre natures différentes.

En premier, c’est une crise de la transmission. On est aujourd’hui dans une société de communication qui s’inscrit dans l’espace et non dans un modèle de transmission qui s’inscrit dans le temps. Ainsi, des individus sont notamment liés par une histoire commune, un passé. C’est en intériorisant le social que l’individu devient membre de la société. Et l’individu individualisé a aujourd’hui le pouvoir de décider du poids du passé qu’il veut incorporer dans son existence personnelle. Il est donc beaucoup plus difficile de lier des individus émancipés. Mais selon François de Singly, cette prise de distance volontaire aux origines peut être légitime si par ailleurs il y a un engagement libre et éclairé. Cette balance entre le désengagement et l’engagement est le cœur de la modernité.

La seconde crise est celle de la raison. En effet, l’homme serait uniquement habité par lui-même et ses préoccupations propres, détaché de l’histoire commune. Cette crise de la raison est caractérisée par la tyrannie de l’émotion. Les individus modernes s’enferment dans leur bulle, indifférents aux affaires publics, centrés sur le soi et sur le monde personnel - reflet du narcissisme et de l’égoïsme en fait.

Durkheim disait déjà que « je ne suis certain de bien agir que si les motifs qui me déterminent tiennent non aux circonstances particulières dans lesquelles je suis placé, mais à ma qualité d’homme in abstracto ». L’individu moderne serait donc de moins en moins libre puisqu’il obéirait aux mouvements de son cœur au lieu de suivre la sagesse de la raison.

La crise de la stabilité, ensuite, montre la difficulté à lier des individus à l’identité fluide. L’exemple type de cette crise est le couple. La relation amoureuse est cette chose que chacun essaye de conquérir sans vraiment en saisir toute la dynamique. En effet, il y a toujours cet arbitraire entre une relation amoureuse forte et la protection du soi de ses participants. Paradoxalement, c’est souvent la femme qui redoute la trop forte dépendance amoureuse et qui n’a pas envie d’être enfermé dans un rôle de compagne ou d’épouse, ne voulant pas exister à travers son mari. Cette dernière s’en rend compte au fil de la relation c’est-à-dire qu’elle remarque un décalage entre ce qu’elle vit et ce qu’elle veut être. Ce refus de l’enfermement est caractéristique des sociétés modernes. L’amour contemporain recherche une distance variable, autorisant un double travail de construction de soi: celui de la relation amoureuse et celui qui permet de respirer un autre air. L’individu souhaite éviter la routine des rôles, les habitudes qui limitent son expression personnelle. Il éprouve le sentiment que ses marges de jeu sont insuffisantes et il s’autorise alors un voyage, un déplacement, une parenthèse, voire une séparation. Il se met en vacances de son moi prisonnier et estime avoir le droit à autre chose.

Georg Simmel exprime très bien cette fascination pour le changement: « ce que nous éprouvons comme de la liberté n’est souvent en réalité qu’un changement d’obligation; au moment où, à la place de celle qu’on assumait jusqu’alors, vient s’en glisser une nouvelle, nous ressentons avant tout la disparition de la pression antérieure; et parce que nous en somme libérés, nous nous sentons en premier lieu absolument libres, mais la nouvelle obligation commence à faire sentir son poids à mesure que vient la fatigue, et désormais, le processus de libération s’applique à elle comme il avait précédemment débouché sur elle ». C’est pour cela que (dans un situation de couple notamment) la déliaison provisoire est préférable à la rupture pour résoudre les contradictions internes de l’individu. Une des contradictions est ressentie comme la réduction à une seule dimension de l‘identité, et en conséquence la disparition du sentiment de liberté. Le propre de la modernité est cette tension entre stabilité et mouvement. Si certaines personnes restent encore dans un cul de sac domestique c’est parce que la vie conjugale procure de la sécurité et des conditions plus aisées pour la structuration du soi. Entre l’enracinement qui emprisonne et l’errance qui insécurise, les individus élabore des compromis qui leur permettent de créer des liens assez élastique pour si possible ne pas rompre. Il faut donc retrouver une identité fluide qui est nécessairement multidimensionnelle. L’idéal est un amour libre, au sens de libéré de l’excès amoureux, un amour qui n’enferme pas, qui n’aliène pas afin d’être libre ensemble. Un autre désaccord qui suscite le mécontentement et l’insatisfaction est la prise de conscience du décalage entre ce que la personne croit être la vérité de soi et l’image que l’autre a de soi.

La crise des normes enfin, pourrait soulever le problème du manque de repère dans nos sociétés. En réalité, les difficultés proviennent de la multiplicité de ces normes. La tyrannie de l’intimité nous indiquerait aujourd’hui que le social serait remplacé par le personnel. Le besoin de saisir le singulier, le souci de la particularisation est davantage développé que l’aspiration au général. L’essence du moderne c’est le psychologisme, le fait d’éprouver et d’interpréter le monde selon les réactions de notre intériorité. Les règles ne sont pas contestés mais on estime être assez grand pour juger de leur juste application. On passe d‘un régime de la similitude à un régime de l‘altérité: chacun doit être reconnu dans sa différence. Cela est visible dans l’éducation, où on est passé d’une éducation centrée sur la transmission à une éducation centrée sur le développement des potentialités de l’élève.

Dans les sociétés modernes, la normativité psychologique s’est imposée mais n’a pas fait disparaître le régime de normativité de la règle pour trois exigences sociales: l’égalité de traitement, la vie commune, le respect de certain savoir. L’individu doit donc apprendre à manier cette alternance de normativité.

D’après François de Singly toujours, l’idéal du lien se trouve entre liberté, convivialité et respect mutuel. Il y a un équilibre a trouver entre la tyrannie du formalisme c’est-à-dire que des inconnus peuvent entrer en contact sans référer à leurs particularités individuelles (savoir le monde) et la tyrannie de l’intimité c’est-à-dire une conversation centrée sur l’histoire personnelle de chacun avec anecdote, récit de soirée,…

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