Une rencontre fécondante  


C’est pourquoi la rencontre dont l’Afrique est actuellement le théâtre doit être considérée comme particulièrement fécondante, comme une invite à un dépassement qui non seulement suppose un enracinement profond à ce que le professeur Ricœur appelle le « noyau éthico-mystique » d’une culture et qui fait sa richesse spécifique, mais également pose à son succès un certain nombre d’exigences en terme de conditions permissives indispensables.
Dans cet ordre d’idées, il apparaît évident que seule pourra survivre et renaître une culture capable d’intégrer la rationalité scientifique : seule une foi qui fait appel à la compréhension de l’intelligence peut « épouser » son temps. Je dirais même que seule une foi qui intègre la désacralisation de la nature et reporte le sacré sur l’homme peut assumer l’exploitation scientifique de la nature ; seule aussi une foi - qui valorise le temps, le changement, qui met l’homme en position de maître face au monde, à l’histoire et à sa vie, semble en état de survivre et de durer, sinon, sa fidélité ne sera plus qu’un simple décor folklorique. Le problème, c’est de ne pas répéter simplement le passé, mais de s’y enraciner pour inventer sans cesse.
Et c’est peut-être là, Mesdames et Messieurs, que commence le vrai drame de l’Afrique actuelle impuissante à résoudre sa crise entre la tradition et la modernité.
En effet, les élites africaines nouvelles qui devraient permettre cet enracinement au passé africain pour inventer l’avenir, ces élites qui devraient permettre à ce passage de la tradition à la modernité d’être le moins difficile et le moins traumatisant possible sont malheureusement elles-mêmes aujourd’hui des nœuds de contradictions, des centres inquiétants de déséquilibres, débranchées qu’elles sont du système de référence des masses, c’est-à-dire des normes qui régissent l’équilibre africain ancien, et de ce fait, pratiquement incapables de devenir cette synthèse vivante qu’elles doivent être entre les cohérences anciennes et les cohérences nouvelles, condition nécessaire pour entraîner les masses derrière elles à la conquête de nouvelles utilités et de nouvelles harmonies.

Tout se passe comme si les prométhées africains étaient enchaînés. Les prométhées africains, c’est-à-dire ces élites qui étaient parties dérober le feu à la civilisation occidentale avec l’espoir de rallumer avec lui les foyers à demi éteints par les flots de sang et de larmes que l’Afrique a répandus sous le choc de la colonisation. Ces prométhées, la torpeur de l’aliénation culturelle les a engourdis, au point qu’ils sont aujourd’hui incapables de répondre par des actes conséquents aux questions essentielles que leur pose le passage de l’Afrique de la tradition à la modernité.
Ces questions sont au nombre de cinq :
Première question : Comment, au plan social et techno-économique, l’Afrique peut-elle sortir de son impasse et opérer un passage efficace parce que authentique de l’économie de type traditionnel à l’économie de développement ?
Deuxième question : Quel sort être réservé, dans ce passage de la tradition à la modernité, à toutes les valeurs ethniques, politico-juridiques et socio-culturelles de l’Afrique de toujours ?
Troisième question : Comment concevoir l’avenir culturel et linguistique en Afrique Noire ? Quelle forme d’expression et quel contenu doit prendre en particulier l’éducation scolaire et universitaire ?
Quatrième question : Sous quels auspices idéologiques, philosophiques et religieux l’Afrique doit-elle construire ses nouvelles cohérences et ses nouveaux équilibres face aux sollicitations contradictoires, idéologiques, philosophiques et religieuses qui lui viennent de l’extérieur ?
Cinquième question : Comment supprimer l’extraversion psychologique qui accentue la dépendance politico-économique ainsi que les déséquilibres et le dualisme tragique de la société africaine actuelle rendant ainsi presque impossible le passage résolu vers une société moderne équilibrée ?
Ce sont là autant de questions capitales auxquelles l’Afrique n’a pas encore donné de réponse satisfaisante, et qui conditionnent d’une manière décisive la naissance d’une société africaine moderne et cohérente.
Les générations nouvelles doivent aujourd’hui tenter d’y apporter des éléments nouveaux de réponse et pour cela elles doivent faire la révolution culturelle africaine avec la même détermination que leurs devanciers des années 30 tel celui dont nous chantons aujourd’hui le 70e Anniversaire.
Comme en témoignent l’abondance et la gravité des questions qui restent en suspens et dont nous n’avons énuméré plus haut que les plus marquantes, leur tâche n’est pas plus facile que celle de leurs aînés. Au contraire ! Car le temps des contestations est révolu, l’heure a sonné pour la relève et l’action positive.

source: Ngango

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