Le soi et le couple
L’individu contemporain court après le bonheur. Il ne l’attrape que rarement pour longtemps. Ce qui compte aujourd’hui, c’est le fait que tout individu vive dans un environnement favorable pour développer son identité personnelle, pour devenir un être singulier. Un bon parent ou un bon partenaire, c’est celui qui apporte cette aide personnalisée. Les proches permettent également la reconnaissance du soi, c’est-à-dire que je ne puis savoir si ma totalité est reconnue et respectée que par la manifestation de l’agissement de l’autre par rapport à elle. Grâce à ses proches, à leur regard, à leur aide, l’individu a le sentiment d’une existence unique et entière. Pour que le soi ait le sentiment d’une existence positive, l’individu a besoin d’un proche familier, stable et exclusif. L’adulte ne se suffit pas à lui-même et les relations amicales peuvent ne pas être des substituts suffisants au conjoint. D’où, on y revient, l’importance d’une place au sein d’un couple.
Si à l’époque contemporaine, la vie de couple est si complexe, c’est qu’elle engage toujours quatre personnes, chacun devant faire avec le soi « seul » et le soi « avec » le compagnon ou la compagne. En effet, au sein de l’identité à géométrie variable coexistent deux hiérarchisations: l’une absolue, avec l’identité personnelle au premier plan; l’autre relative, correspondant aux exigences de la relation. Par exemple, le bon élève doit prouver, comme les autres, qu’il existe aussi autrement, que sa valeur scolaire ou sociale ne se confond pas avec sa personne. L’individu individualisé doit donc s’affirmer de deux façons: le « moi d’abord », propre à l’affirmation d’un vrai soi et le « rôle à jouer » qui désigne la dimension statuaire qui doit être mis en scène pendant la situation particulière. Une sorte de personnalité situationnelle.
La structuration du couple doit donc faire face à l’instabilité des identités: les exigences de la société individualiste sont telles que l’individu est amené à vivre sous le régime de l’éducation permanente. L’adulte comme l’enfant, n’a jamais terminé sa propre construction. Le soi n’est donc pas stable. Faut-il dans ce cas se soustraire au célibat ? L’absence de contrainte apparaît comme un élément positif qui constitue le sentiment d’autonomie. En même temps et contradictoirement, le célibat est mal perçu dans la mesure où un tel soi apparaît incomplet, trop centré sur lui-même. Cette liberté ne suffit donc pas à définir le contenu du soi et n’autorise pas le travail de révélation. En fait on souhaite le célibat mais davantage sur un plan théorique.
En effet, un partenaire contribue à construire la personne avec laquelle il vit en lui donnant le sentiment continue d’exister, le sentiment de stabilité qui fonde l’identité. Ce sentiment s’enracine notamment dans la conversation permanente qui valide la vision du monde des partenaires. L’univers devient crédible et le soi a davantage l’impression d’exister. De plus, le regard d’amour métamorphose l’Homme en lui restituant un sentiment d’appartenance aux personnes qui possèdent les qualités pour former un couple (sensibilité, gentillesse, tendresse, générosité).
Ensuite, le conjoint a pour fonction de valider l’identité de son coéquipier, de transformer ses ressources en capital. Cette validation inclut plusieurs missions: celle de la cohérence, de la révélation et de la totalité (la prise en compte de la totalité de soir par l’autre est un rêve). Cela implique que lorsque l’identité du partenaire change, le conjoint doit, lui aussi, modifier sa manière de proche familier. Soumis à la pression sociale de l’épanouissement personnel, les couples modernes doivent suivre le rythme des transformations identitaires de chacun. La mobilité conjugale est obligatoire: elle est assurée par une nouvelle définition des fonctions assurées par chacun des partenaires, sinon elle engendre la séparation. Souvent, la reconnaissance publique de son propre changement doit s’inscrire par le renouvellement du partenaire.
Les individus font comme s’ils étaient insensible à la fidélité. Cette position est fausse. En effet, le nombre de personnes en union conjugale qui déclarent avoir des relations extraconjugales a baissé pendant ces vingt dernières années. Cela renvoie à l’une des dimensions de la fonction de validation de soi: donner le sentiment de l’unité. L’amour sexuel ouvre le plus largement les portes de la personnalités globale donc il y a cette nécessité de rester cohérent avec soi-même.
Mais il existe un autre type de fidélité: la fidélité à soi-même. La logique de la psychologisation de l’identité a pour effet de valoriser cette fidélité. Celle-ci peut entraîner la rupture conjugale car fidélité à soi et engagement de longue durée ne sont pas toujours conciliable. Les femmes justifient très souvent la séparation du fait de la destruction de leur identité, ne voulant pas être gelées dans un rôle défini. De plus, la conception moderne de l’individu dévalorise les rôles exaltant au contraire l’originalité et encore plus l’authenticité, comme sentiment de fidélité à soi-même. Si le conjoint ne comprend pas le besoin de modification identitaire du partenaire, il peut contribuer à la rupture. Ce d’autant plus que les valeurs contemporaine de mobilité ne valorisent pas en soi la permanence, la longue durée. En effet, il y a une très grande mobilité affective. On cherche jusqu’à ce qu’on ait trouvé chaussure à son pied, avec le risque de se retrouver seul. Mais pour qu’un couple contemporain fonctionne, ses membres doivent se réformer, en mettant de coté certains aspects de leur identité, en tenant compte des demandes de l’autres. Cette exigence réciproque demande du travail et du temps.
Pour les thérapeutes conjugaux, si les hommes et les femmes se séparent après quelques années de vie commune, c’est qu’ils ne parviennent pas à surmonter la fin de la première période qui serait fusionnelle. Ils n’arrivent pas à passer de l’illusion d’une seule identité au constat de la réalité des deux individualités.
Lorsque les conjoints se séparent, ils ont à la fois l’impression d’être amputés et le sentiment de renaître. Des dimensions cachées de leur personnalité peuvent revenir à la lumière, mais cela implique presque toujours que d’autres vont, sans le regard du proche connaître l’ombre.
Le maintien d’une union réclame une transition exigeante pour les deux partenaires.