Suite: La mort culturelle
La mort culturelle
La mort des civilisations est un phénomène historique. Valéry l’a dit, et nous le répétons encore : Les civilisations sont mortelles.
La civilisation négro-africaine est mortelle ! Plus grave : elle est blessée mortellement ! Nous n’avons aucune chance de survie dans l’histoire, si nous ne commençons par prendre conscience des menaces qui pèsent sur notre existence, et prendre les remèdes capables d’enrayer le mal.
Il ne suffit pas de nous réclamer aujourd’hui d’un héritage culturel que personne ne peut plus nier, mais qu’on est en train de piller sous nos yeux. Cela n’a jamais suffi à aucun peuple, nulle part, tout au long de l’Histoire. L’Egypte d’aujourd’hui peut-elle encore se réclamer des Pharaons ? - La Grèce d’aujourd’hui de l’Athènes de Périclès et de Platon ? - L’Italie d’aujourd’hui de la Rome de César et d’Auguste ? - La civilisation occidentale s’est emparée de tout cet héritage, matériellement et spirituellement, et c’est en Europe occidentale ou en Amérique que survient ces civilisations antiques comme sources d’inspiration pour transformer le monde. C’est là que leurs héritages naturels, déchus, vont mendier aujourd’hui les miettes de ce qui fut leur propre héritage.
Le processus de mise à mort culturelle est extrêmement complexe et implacable. Pour le surmonter, il faut des peuples sains, vigilants, capables de concertation, de sacrifice, de courage et de grandeur d’âme. Le processus de mise à mort culturelle est en effet un processus de désappropriation, d’expropriation, d’aliénation et d’annihilation culturelle.
Il est partout l’œuvre de la domination étrangère et du colonialisme.
Le phénomène de désappropriation culturelle a lieu quand un peuple, consciemment ou inconsciemment, se défait de son héritage culturel soit pour l’aliéner, soit pour le laisser tomber en perdition. On a vu souvent, dans nos pays, des chefs traditionnels vendre à vil prix des trésors d’art amassés par leurs prédécesseurs. On en a vu d’autres, animés par un fanatisme mal éclairé, brûler comme des idoles des œuvres parfois uniques dans l’histoire de l’art de tous les temps. Nous côtoyons quotidiennement des familles qui ont abandonné l’usage de leur langue maternelle, qui n’apprennent plus aux enfants que des langues étrangères pompeusement baptisées langues internationales.
Le phénomène de désappropriation culturelle n’est possible que là où la personne, - individu ou société, - a perdu les racines de son identité culturelle. On cherche alors à les remplacer par des valeurs d’emprunt. Le chef traditionnel qui ne trouve plus dans son héritage culturel ses raisons de vivre et le fondement de son autorité et des charges historiques sur son peuple, se tourne vers l’argent considéré comme nouveau fondement de l’existence et du pouvoir. Malheureusement, ce fondement échappe totalement, je ne dis pas au contrôle, mais même à l’emprise du chef traditionnel. On aboutit ainsi au marché de dupes dans lequel en échange de millénaires de culture et de civilisation, on ne reçoit que le vide des appétits insatisfaits, et la conscience brutale de son propre anéantissement.
Le phénomène de désappropriation culturelle est l’un des plus subtils et des plus brutaux. Au départ, on vit dans l’illusion qu’on est maître de ses options. Apparemment, on ne semble pas subir de pression extérieure. On vend ce qui vous appartient ; on apprend les langues parce qu’on le veut. On ne voit pas l’utilité de connaître l’histoire, la géographie, les traditions de son milieu. Peu à peu, on se convainc que pour être moderne, tout cela devient totalement inutile. On en arrive alors à l’auto-liquidation culturelle ; on jette par dessus bord tout ce qui fondait notre identité culturelle. En fait on est devenu un clochard culturel : désormais, on n’a plus ni chez-soi, ni famille, ni pays, ni capacité de concevoir, de créer, de bâtir. On passera le reste de sa vie à mendier sa subsistance à la porte des autres cultures.
L’histoire montre qu’une telle mendicité aboutit à la servitude. L’histoire des civilisations est une lutte pour la survie de l’homme. Sur cet immense chantier, les peuples fatigués succombent d’abord à la lutte, puis s’éteignent dans l’oubli. Là où un peuple n’est représenté que par des sujets affectés de désappropriation culturelle, il est certain qu’il ne faudra pas plusieurs générations pour que ce peuple et son histoire soient effacés de la mémoire des hommes.
Dans l’histoire actuelle du monde noir, ceux qui, consciemment ou inconsciemment, se désapproprient de notre culture, sont, il faut le répéter, nos propres fossoyeurs. C’est dire qu’il n’y a de chance de survie pour notre culture que dans la mesure où chaque génération se l’approprie, de façon consciente, lucide et responsable, et l’intègre si intimement dans sa vie qu’elle y trouve des sources d’inspiration toujours neuves pour sa créativité.